L’État doit-il intervenir pour discipliner le marché immobilier et si oui, comment ?

La surchauffe qui sévit nous force à poser ce genre de questions. Imaginez, de jeunes acheteurs sont contraints de miser un demi-million de dollars sur une maison après une seule visite de 15 minutes. Et encore, leur offre pourrait être rapidement surpassée par celle d’un acheteur plus motivé, dans un contexte de surenchère. Ouch !

Et avec une telle frénésie – et le contexte émotif qui l’entoure –, le vendeur peut aisément refuser une demande d’inspection, en plus de vendre sans « garantie légale ». Conséquence : l’acheteur n’a pratiquement aucun recours advenant des défauts sur la propriété, à moins que le vendeur ait fait une fausse déclaration, essentiellement. Re-ouch !

Cette semaine, la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, a eu des réponses pour le moins étonnantes à ce sujet. Elle a dit à ma collègue Isabelle Dubé qu’il fallait responsabiliser les acheteurs quant à l’impact d’une hausse des taux d’intérêt, en plus de les éduquer sur l’importance d’exiger une inspection préachat.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Oui, la pandémie, le télétravail et la baisse des taux d’intérêt ont joué sur la demande, mais par-dessus tout, il y a la forte croissance économique des dernières années, qui a dopé le marché, explique notre chroniqueur.

Qu’il n’y aurait de toute façon pas suffisamment d’inspecteurs advenant une loi imposant l’inspection. Et qu’un mécanisme d’enchères ouvertes est à proscrire, parce que le prix des transactions immobilières doit demeurer confidentiel.

D’abord, le registre foncier public du gouvernement permet à quiconque de dénicher le prix de toutes les transactions. Il y a un délai de quelques mois, j’en conviens, le temps que l’acte soit notarié, mais tout de même, cet argument de confidentialité ne tient pas la route. Pas plus que l’hypothèse voulant que les acheteurs puissent imposer l’inspection, du moins dans le marché fou de la région de Montréal.

Étonnant, aussi, de voir la ministre dite de l’Habitation affirmer qu’elle s’en remet à quelques amis courtiers et inspecteurs pour juger de la situation et prendre des décisions. Je me serais attendu à plus de la part de la ministre. Genre : nos analystes du Ministère scrutent attentivement la situation.

Son collègue Eric Girard, aux Finances, reconnaît au moins que la renonciation à l’inspection et le manque de transparence dans les processus d’enchères soulèvent des problèmes.

Et vendredi, le PDG de la Banque Nationale, Louis Vachon, suggérait d’envisager une plus grande transparence du prix et de rendre plus difficile, pour les vendeurs, d’exiger une renonciation aux droits légaux de l’acheteur.

Louis Vachon propose aussi d’envisager un nouveau resserrement des règles de crédit – une mécanique complexe, dit-il –, afin de s’assurer que les acheteurs surendettés ne soient pas pris à la gorge advenant une hausse des taux d’intérêt ou un recul du marché, comme ç’a été le cas aux États-Unis en 2008.

Cela dit, il faut être lucide : freiner le tsunami de la surchauffe immobilière est loin d’être une tâche facile, sinon possible.

Oui, la pandémie, le télétravail et la baisse des taux d’intérêt ont joué sur la demande, mais par-dessus tout, il y a la forte croissance économique des dernières années, qui a dopé le marché.

Le taux de chômage a reculé à un creux historique au Québec, comme le solde migratoire négatif avec le reste du Canada, et ces éléments ont poussé l’immobilier résidentiel vers le haut, bien avant la pandémie, explique l’économiste Jean-Philippe Meloche, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal.

« Montréal subit le même phénomène que Toronto, Vancouver, Auckland [en Nouvelle-Zélande] et toutes les autres grandes villes du monde en forte demande. La hausse des prix s’explique par notre attractivité devenue plus forte avec la vigueur économique », explique-t-il.

Selon l’économiste, il faut jouer sur l’augmentation de l’offre de logements, plutôt que sur la demande.

Imposer le gain en capital des maisons serait contre-productif, pense M. Meloche, notamment parce qu’il freinerait les vendeurs désireux de mettre leur propriété sur le marché, ce qui réduirait encore davantage l’offre et pourrait empirer le problème.

Quant aux enchères, un mécanisme pour rendre le processus ouvert plutôt qu’à l’aveugle, ce n’est pas simple à implanter. Il faudrait bien analyser son impact avant d’aller de l’avant, certaines études jugeant qu’en moyenne, l’enchère ouverte ne fait pas diminuer les prix, alors que d’autres affirment exactement le contraire.

Chose certaine, il y a des éléments sur lesquels les autorités peuvent agir. Il y a bien sûr l’augmentation de l’offre de logements, avec ses incidences sur la densification des villes centrales et l’étalement urbain (dont les effets pourraient être amoindris avec le télétravail). Mais on parle d’actions à long terme. Et il faut faire attention, en intervenant, de ne pas alimenter la hausse des prix des matériaux.

Il y a aussi l’implication plus vigilante du fisc, qui a des outils pour freiner le phénomène des flips immobiliers. Entre autres, un gain en capital peut être pleinement imposé sur une résidence dite principale ou encore sur un immeuble à revenu (à 50 %) si l’intention de départ de l’acheteur était de revendre à profit, plutôt que d’y habiter ou d’en tirer des revenus de loyer.

L’État doit aussi s’assurer que les moins nantis puissent avoir des logements décents en nombre suffisant, ce à quoi semblent s’affairer le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec actuellement, selon les derniers budgets.

Enfin, je suis d’avis que les acheteurs doivent être en mesure d’avoir toute l’information disponible sur une propriété avant de décaisser un demi-million de dollars. De savoir si le câblage électrique est conforme, si la moisissure a envahi le sous-sol, si les murs de soutien font leur travail.

Et qu’à cet égard, l’inspection devrait être favorisée par l’État dans les transactions immobilières résidentielles des particuliers.