Le cours ne se donne pas dans une salle de classe, aussi mal ventilée soit-elle, mais dans l’espace considérablement plus restreint d’une voiture, où l’enseignant et l’élève sont assis côte à côte.

C’est une des difficultés qu’affrontent les écoles de conduite depuis un an.

Dans tout le Québec, elles avaient fermé le 13 mars 2020 pour rouvrir le 15 juin suivant.

Après les trois mois d’arrêt obligatoire devant ce feu rouge gouvernemental, il fallait agir : « On a mis immédiatement en place une campagne de recrutement de personnel », informe Mylène Sévigny, directrice générale du réseau des écoles de conduite Tecnic.

La pandémie avait incité certains moniteurs plus âgés à une retraite préventive et précipitée. D’autres qui en faisaient un travail d’appoint à temps partiel n’ont pas voulu courir le risque qu’une contagion mette en péril leur emploi principal.

Par ailleurs, il fallait accroître les effectifs pour rattraper le retard de trois mois dans la formation des apprentis conducteurs.

Or, engager de nouveaux moniteurs de conduite implique également de les former.

Dans les mois qui ont suivi, les écoles Tecnic ont réussi à en repêcher 200, soit une hausse de 25 % sur les 800 que le réseau comptait.

Une affaire de familles

Tecnic compte plus de 150 écoles détenues par une trentaine de franchisés propriétaires. « On forme tout près de la moitié du marché québécois pour ce qui est des nouveaux conducteurs », affirme Mylène Sévigny.

Elle travaille depuis l’âge de 16 ans dans l’entreprise créée au milieu des années 1980 lorsque ses parents ont regroupé leur réseau d’écoles de conduite avec celui fondé par la famille Aubé. « Je peux presque vous dire que le seul travail que je connais, c’est ça », exprime la directrice générale.

Elle a occupé tous les postes, accompli toutes les tâches, y compris celle de monitrice de conduite automobile. « J’ai fait mes classes », dit-elle, fort à propos.

« C’est vraiment familial. Ma sœur et mon conjoint gèrent également des écoles de conduite Tecnic. »

Quand elles ne sont pas sur le volant, ils ont « les deux mains dans la gestion opérationnelle ».

Les conducteurs masqués

À la reprise des cours, à la mi-juin 2020, les écoles de conduite ont adopté les mesures désormais courantes et éprouvées : masque pour l’élève, masque et lunettes de sécurité pour le moniteur, désinfection des surfaces après chaque cours.

« Au début, ç’a été une très grande adaptation, reconnaît Mylène Sévigny, mais ça va bien. »

Ces précautions semblent avoir été efficaces : les très rares moniteurs déclarés positifs ont été contaminés à l’extérieur des écoles, relève-t-elle.

« Dans notre réseau, à ma connaissance, je ne pense pas qu’il y ait eu un cas de COVID-19 de l’interne. »

Tecnic était déjà avancée sur le plan technologique. « La pandémie nous a forcés à grandir dix fois plus rapidement – bon, peut-être que j’en mets un peu », exprime-t-elle.

En mai 2020, les écoles ont appris que le gouvernement allait autoriser les cours théoriques à distance, lesquels auparavant ne pouvaient être donnés qu’en classe.

La plateforme web du réseau a été adaptée en catastrophe, pour permettre l’enregistrement en ligne et la prise de rendez-vous pour les cours en visioconférence dans chacune des écoles.

« Maintenant, 100 % des élèves du Québec utilisent notre système. Il a fallu peaufiner tout ça. Beaucoup d’ajustements. Mais, au bout du compte, on va en sortir plus forts. »

Et bang ! le couvre-feu

« [À la fin de 2020], on commençait à voir qu’on reprenait tranquillement le dessus », indique la directrice générale de Tecnic.

Un autre obstacle s’est alors dressé sur la route : un couvre-feu a été décrété à 20 h, alors que les cours se donnaient jusqu’à 23 h.

« Et 80 % de notre clientèle n’est disponible que les soirs et les fins de semaine, parce que c’est des étudiants qui vont à l’école le jour. Je perds pratiquement tous les horaires », explique-t-elle.

Depuis janvier, on n’est pas fermés, mais presque.

Mylène Sévigny, directrice générale du réseau des écoles de conduite Tecnic

Mais le couvre-feu a eu un effet supplémentaire.

« La cadence de recrutement et de formation que nous avions depuis juin a été pratiquement freinée depuis janvier. »

Les apprentis moniteurs, pour qui il s’agit souvent d’un travail à temps partiel et d’un deuxième emploi, sont davantage disponibles le soir pour leur longue formation de 128 heures.

De surcroît, la formation inclut obligatoirement des séances avec des moniteurs certifiés et de vrais élèves, dans des cases horaires de plus en plus restreintes.

Bref, on tourne sans fin dans un rond-point vicieux.

Une formation qui prend normalement un mois et demi s’étire maintenant sur trois à quatre mois.

« C’est tout un casse-tête, je dois vous avouer », constate la directrice.

Un autre – beau – problème s’y ajoute : la pandémie a malgré tout entraîné une augmentation de la demande de cours. Elle soumet quelques explications.

Les nombreux déménagements en périphérie, où les transports en commun sont moins développés, ont accru pour les jeunes la nécessité de savoir conduire.

« On s’est fait dire aussi qu’il y a des étudiants qui ont bénéficié d’une PCU et qui se sont dit : “Je peux enfin me payer des cours de conduite.” »

Il y a donc embouteillage.

Avec l’accordéon des heures de couvre-feu, il faut rappeler les élèves pour les aviser des annulations, ce qui provoque souvent de désagréables collisions entre clients mécontents et employés pare-chocs.

On vit tout en même temps : on a moins de plages horaires à offrir, et notre clientèle augmente. En plus, on peut former moins de moniteurs, parce qu’on les forme nécessairement le soir.

Mylène Sévigny

Et pour elle, quel a été le plus grand défi ?

« L’équilibre ! », répond vivement la mère de deux jeunes enfants. « L’équilibre entre le travail et le côté personnel de nos vies. Je ne suis pas la seule, bien sûr. »

Et il faut garder le moral, ajoute-t-elle.

« Mais j’ai toujours eu cette capacité naturelle à être positive face à l’avenir. »

Le temps arrangera les choses, croit-elle, mais le trajet a été cahoteux et parsemé d’obstacles.

« C’est comme plusieurs nouveautés à gérer toutes en même temps, sur différentes facettes, et sans expérience ! Je n’avais jamais eu à fermer complètement une entreprise pendant trois mois, et la rouvrir du jour au lendemain. »

Elle continue cependant à voir le bon côté de l’aventure : « C’est la meilleure école qu’on puisse avoir », conclut-elle avec classe.