Vous voulez un tout autre son de cloche ? Le voici. La pandémie aurait été bien plus difficile à gérer sans la réforme Barrette et elle aurait donc causé plus de dommages.

Cette affirmation, elle ne vient pas de Gaétan Barrette, ni même d’un partisan libéral, mais d’un ex-PDG de centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) qui a pris sa retraite un peu avant la pandémie. Jean-François Foisy a tenu à réagir à mes deux chroniques « La maison des fous », dans lesquelles je dénonçais le manque d’efficacité du réseau, gangrené par la bureaucratie, selon des intervenants qui m’ont joint.

Jean-François Foisy est l’ancien PDG fort apprécié du CISSS des Laurentides, qui regroupe 6 hôpitaux, plus de 20 CHSLD et 14 000 employés, et dont le budget dépasse 1,2 milliard de dollars. Il a quitté ses fonctions en septembre 2019 et dirige maintenant un organisme du réseau à temps partiel.

Quand la COVID-19 a frappé, en mars 2020, il y avait une cinquantaine de directeurs généraux dans le réseau de la santé au Québec, dit-il. Or, avant la réforme, il y en avait 800, et même jusqu’à 1000 il y a 25 ans.

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Jean-François Foisy, ancien PDG du CISSS des Laurentides

J’ai travaillé longtemps dans le réseau. Et gérer une pandémie avec 800 directeurs généraux, ç’aurait été difficile, tellement difficile de coordonner tout ça, voire impossible.

Jean-François Foisy, ancien PDG du CISSS des Laurentides

« Avant la réforme Barrette, ajoute l’homme de 59 ans, chacun faisait souvent bien peu de cas de ses voisins, avec une gestion qui, par la force des choses, se faisait très souvent en vase clos. Imaginez comment le Ministère aurait pu gérer la pandémie avec tous ces DG. La vraie maison des fous, je crois. »

Jean-François Foisy n’a pas milité en politique et ne vote jamais libéral. Mais il juge que la réforme Barrette, la plus importante depuis l’avènement de l’assurance maladie, était nécessaire.

Dans les Laurentides, le réseau est essentiellement passé de 14 directeurs généraux à un seul. Avant, chacun avait pour ainsi dire son directeur des ressources humaines et son directeur des finances, explique-t-il. À titre de PDG du CISSS, il gérait directement des services, ce qui n’était pas le cas des patrons des anciennes agences de la santé et des services sociaux.

Et avec le regroupement, les services ont pu être uniformisés dans les différentes villes des Laurentides.

Jean-François Foisy n’est pas qu’élogieux à l’endroit de la réforme, tant s’en faut. Il estime que le gouvernement n’aurait pas dû supprimer autant de postes de cadres, qu’il est faux de dire qu’il y a trop de cadres. « Dans le réseau, il y a moins de cadres par employé que dans des entreprises de taille comparable », affirme-t-il.

Selon lui, quand les cadres supérieurs gèrent de trop grosses structures, ils n’ont pas le temps de se rendre sur le terrain et de « s’occuper de leur monde ». Le nouveau gouvernement a donc bien fait d’embaucher des patrons responsables de chacun des CHSLD dans la foulée de la première vague.

Une autre de ses critiques : les compressions massives dans les budgets de santé publique.

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Pour Jean-François Foisy, ancien PDG du CISSS des Laurentides, la pandémie aurait été encore plus difficile à gérer sans la réforme Barrette.

Par ailleurs, il a été choqué en lisant l’anecdote de ma chronique sur l’inefficacité de la chaîne de décision. Un gestionnaire financier du réseau y racontait que « le directeur pose une question au coordonnateur par courriel, qui pose une question au chef de service, qui me pose la question. Et si j’ai le malheur de répondre directement au directeur par souci d’efficacité en mettant tout le monde en copie conforme, je me fais avertir par le chef. Mais en plus, le directeur répond en requestionnant le coordonnateur, qui transfère au chef, qui me le retransfère. On ne s’en sort pas ».

Jean-François Foisy affirme que s’il avait appris cela lorsqu’il était PDG, il n’aurait pas été content. « Dans mon groupe, je disais au monde de se laisser parler. Et je prônais un écrasement des structures. Ma porte était ouverte. Je ne suis pas naïf, je sais que ça arrive, ce genre de choses, mais ça dépend toujours de qui a le pouvoir et de comment il est exercé », dit-il.

Il s’inscrit en faux contre la prétention de deux ex-présidents de conseil d’administration de CISSS ou CIUSSS qui affirment que les C.A. sont sans réels pouvoirs, ne pouvant fixer d’objectifs au PDG ou évaluer son travail, puisque c’est la prérogative du ministre de la Santé.

« Les comités du C.A. demeurent le garde-fou pour qu’un PDG ne puisse faire n’importe quoi », dit-il, vantant au passage la compétence, le dévouement et la diversité des membres de son ancien conseil.

Il juge cependant que la présence d’employés au C.A., avec leur chapeau de militant syndical, n’est pas facile. « J’ai toujours eu de la misère avec ça », dit-il.

Selon lui, à la suite d’une réforme comme celle de Gaétan Barrette, il faut généralement de 5 à 10 ans pour que tout soit bien rodé et qu’on en voie les fruits. Et justement, nous en sommes là. Il est donc relativement optimiste pour les prochaines années.

Il estime que la pandémie a permis de faire de grandes avancées dans le système, qui resteront en bonne partie, comme la télémédecine et la prise de rendez-vous en ligne sans attente, notamment.

Autre exemple : la centralisation des lits de soins intensifs. Avant, un intervenant devait faire des pieds et des mains pour trouver des lits de soins intensifs dans certaines situations de débordement. Ce ne sera plus le cas.

Le Québec est obligé d’innover, dit-il, en raison de la rareté de la main-d’œuvre, des coûts grandissants provoqués par le vieillissement de la population et de la pression des finances publiques.

« Regardez le succès de la vaccination. Beaucoup ne croyaient pas qu’on pourrait administrer 50 000 doses par jour, mais ça se fait actuellement », dit M. Foisy, qui vante l’extrême compétence de certaines personnes au Ministère avec qui il a travaillé.

Alors, sans issue, la maison des fous ?