Qu’ont en commun les rouleaux de papier de toilette, les fenêtres, les comptoirs de cuisine et le contreplaqué ? Deux choses, au moins : ils contiennent tous de la colle et leur production au Québec est perturbée par la tempête qui s’est abattue sur le Texas en février.

C’est fascinant de voir à quel point une catastrophe climatique à 3000 kilomètres de chez nous peut avoir des impacts jusque dans nos usines, et nos poches.

Prenez l’usine de colle Dural, à Dorval, qui vend ses produits sous la marque Durapro dans les quincailleries. Aucune autre usine ne fabrique plus de colle blanche et de colle à bois au Canada. Mais depuis des semaines, elle tourne au ralenti. Car les ingrédients (des monomères) nécessaires à la fabrication de ses colles et polymères utilisés par une pléthore d’autres usines du Québec, se font rares.

Ses fournisseurs texans ont cessé leur production lors de la vague de froid meurtrière. En tout, une cinquantaine d’usines de produits chimiques ont mis leurs activités sur pause. La reprise se fait très lentement.

Les réservoirs de Dural étaient pleins de monomères quand le Texas s’est retrouvé dans une crise sans précédent. Cela lui a évité une fermeture prolongée. Mais aucun nouveau client n’est accepté. Et les clients actuels ont été prévenus qu’ils devront être patients et commander uniquement le strict minimum.

Parmi ces clients qui tapent du pied, il y a des fabricants québécois de portes et fenêtres, de comptoirs de cuisine, de peinture, de contreplaqué, de planchers de bois d’ingénierie, de boîtes en carton ondulé. Tout le secteur de l’emballage alimentaire est touché puisque des étiquettes doivent être collées sur les bouteilles de bière et les conserves, me dit Paul Faulkner, gérant du marketing et des ventes commerciales chez Dural.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La tempête il y a quelques semaines au Texas a des répercussions jusqu’ici, sur… le papier de toilette !

Même le papier de toilette n’est pas épargné ! « Il y a de la colle sur le rouleau qui tient le premier morceau et de la colle sur la dernière feuille », me fait remarquer mon expert en colle.

C’est bien vrai. Mais en voyant les images de Texans gelés à la télé, je n’y avais pas pensé spontanément. Je n’avais pas, non plus, réalisé l’importance de la colle dans nos vies…

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Quand on a passé sa vie dans les grands froids du Québec, on imagine mal les conséquences que peuvent avoir quelques jours à -10 °C au Texas. La tempête a provoqué des pannes de courant, et le froid a provoqué des bris d’équipements.

Les bris dans la chaîne d’approvisionnement étaient alors inévitables.

« Des dizaines d’usines au Québec sont présentement fermées pour cause de manque de composants chimiques », annonçait récemment l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) sur son site web.

Explications de l’AQMAT : « Les températures inférieures au point de congélation empêchent [les manufactures de produits chimiques du Texas] de recevoir du gaz naturel, de l’électricité, du gaz industriel, de l’eau potable et de l’eau de lutte contre les incendies et autres matières premières nécessaires à une exploitation sûre et fiable. »

On ne relance pas ce genre d’usine comme on ouvre son chalet la fin de semaine.

Il faut réparer l’équipement. Attendre des pièces en rupture de stock. Dans certains cas, la mise sur pause n’a pas été faite dans les règles de l’art parce que le personnel n’avait pas été formé pour ce genre de situation exceptionnelle. Ce qui complique le processus.

Certains redémarrages nécessiteront l’aval d’inspecteurs, ce qui pourrait tarder en raison du coronavirus, a aussi indiqué le site Independent Commodity Intelligence Services, il y a quelques jours.

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Mais pourquoi ne pas s’approvisionner ailleurs dans l’intervalle ? ai-je demandé à Paul Faulkner. En Asie, on ne fournit pas à la demande et figurez-vous qu’en Europe, l’usine allemande qui produit des monomères a été ravagée par les flammes, m’a-t-il répondu.

« Si on n’avait pas fermé nos raffineries dans l’est de Montréal, on n’en serait pas là. On parle d’autonomie alimentaire… La filière pétrochimique du Québec est disparue », déplore-t-il.

Donc, il faut attendre que les usines du Texas reprennent leur rythme de croisière. Ce qui prendra des mois, prédisent les experts.

D’ici là, les quincailleries risquent de manquer de peinture. Les entrepreneurs peineront à trouver des portes, des fenêtres et des comptoirs. Ce qui s’ajoute aux pénuries de bois d’œuvre, de gypse et de personnel.

La loi de l’offre et de la demande fera certainement bondir les prix. Dural subit déjà des hausses de 30 à 100 % pour ses ingrédients.

Au bout de la chaîne, les consommateurs ne seront assurément pas épargnés.

Rendu là, ça me semble déjà clair que le secteur de la construction sera la vedette du prochain Bye bye.