Que les débardeurs du port de Montréal cherchent à profiter de notre dépendance consumériste aiguë au commerce international maritime pour se négocier de meilleures conditions de travail, c’est compréhensible. Même s’il est déconcertant de constater que ce conflit de travail puisse mettre la relance économique du Québec en péril, car les marchandises nécessaires à bien des entreprises pourraient rester coincées au port, en cas de grève.

En revanche, il y a une chose qui est absolument incompréhensible.

C’est que les gouvernements eux-mêmes, surtout celui du Québec, ralentissent l’économie.

Comment ?

En maintenant une lenteur inexcusable dans le traitement des demandes d’immigration de travailleurs qualifiés.

Actuellement, selon le Conseil du patronat du Québec, 150 000 postes attendent des candidats. Partout dans la province.

Or, combien de temps un postulant venu de l’extérieur doit-il attendre au Québec pour que son dossier traverse les méandres bureaucratiques fédéraux et provinciaux ? En moyenne, 27 mois.

C’est. Beaucoup. Trop. Long.

J’avais souvent entendu cette doléance exprimée par de nombreux employeurs, dans le cadre d’entrevues sur la pénurie de main-d’œuvre un peu partout sur le terrain au Québec. « Le recrutement, on le fait, mais les papiers, c’est long, c’est interminable… »

Sauf que personne ne m’avait jamais chiffré cette attente.

Là, on l’apprend dans le reportage de mon collègue Joël-Denis Bellavance : elle est en moyenne de deux ans et quart.

C’est insensé.

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« Si le Québec veut rester concurrentiel face à l’Ontario, notamment, où le processus prend six mois, il va falloir se bouger », indique notre chroniqueuse.

D’autant que le même processus met plus de quatre fois moins de temps ailleurs au pays.

Si le Québec veut rester concurrentiel face à l’Ontario, notamment, où le processus prend six mois, il va falloir se bouger.

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Un des problèmes sous-jacents, actuellement, c’est qu’il y a une contradiction totale entre deux objectifs du gouvernement de François Legault : contrôler les niveaux d’immigration et stimuler l’économie.

L’économie, les employeurs, les entreprises, nos écoles, nos établissements, tout le monde a besoin des immigrants.

Penser qu’on peut développer le Québec économiquement sans attirer d’immigrants, c’est comme penser que le lave-vaisselle se vide tout seul.

Je suis désolée de le répéter : cela relève de la pensée magique.

En attendant que l’automatisation règle tous les problèmes de main-d’œuvre dans les secteurs où il est le plus difficile de recruter, des champs aux chaînes de montage et de dépeçage, en attendant que nos écoles produisent toutes les têtes, tous les diplômés spécialisés dont nous avons besoin, il nous faut des bras et des cerveaux.

Or, que fait Québec actuellement pour accélérer le processus ?

Joël-Denis a posé la question.

On accuse la pandémie pour expliquer pourquoi les plafonds d’admission n’ont pas été atteints durant la dernière année.

On répète qu’on croit à l’immigration comme moteur de relance. On dit qu’on est à l’œuvre pour attirer et retenir les immigrants qualifiés dont le Québec a besoin.

Mais pour les engagements concrets et la reconnaissance du fait qu’un délai de 27 mois constitue une aberration, il va falloir attendre encore.

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Politiquement, le gouvernement Legault est dans une très étrange posture.

L’ADN d’une grande partie de ses forces vives est entrepreneurial. Mais une bonne partie de sa base est aussi frileuse face à l’immigration.

Ça me fait penser à la grande contradiction républicaine, aux États-Unis.

Quand le parti et son triste sire étaient au pouvoir, ils tapaient à qui mieux mieux sur les immigrants, notamment ceux venus du Mexique et d’Amérique latine, surtout les « illégaux », alors que l’économie américaine ne peut survivre sans ces travailleurs.

Car non seulement l’Amérique a-t-elle besoin de leurs bras et de leurs têtes pour faire fonctionner des pans entiers de l’économie, des champs à la Silicon Valley, mais elle a aussi carrément besoin de la précarité de certains travailleurs dans certains secteurs, qui n’ont pas les papiers ou le statut pour revendiquer de meilleures conditions de travail et qui ne mettent donc aucune pression à la hausse sur les salaires et les prix.

Le système commercial, de Walmart à Whole Foods, repose sur cette réalité.

Ici aussi, les immigrants, qui bénéficient davantage de notre filet social, heureusement, sont tout aussi cruciaux dans bien des secteurs, dans le réseau de la santé et celui de l’éducation, le développement technologique, les secteurs professionnels, en fait partout. Et nos agriculteurs comptent sur eux du printemps à l’automne. Comme on l’a vu durant la pandémie, toute entrave à leur venue met des récoltes entières en péril.

Cette réalité est incontournable. Voire souhaitable pour ceux qui, comme moi, croient à la richesse des métissages et à l’oxygène qu’est la diversité.

Et il n’est pas question ici de transformer la province en camp de réfugiés, le cliché qui semble obséder ceux qui veulent freiner les niveaux d’immigration.

On parle de faire venir des joueurs pour renforcer nos équipes.

Imaginez si on avait au hockey ou au soccer la même attitude que sur le marché du travail en général. « OK, on veut bien de Cole Caufield, mais ça va prendre 27 mois avant qu’il puisse jouer au hockey (ça va rassurer nos électeurs). »

On est loin de l’enquiquinement de la quarantaine à Laval.

Même chose pour Rafael Payare à l’Orchestre symphonique. On trouve ça long d’attendre jusqu’en janvier 2022 pour voir le nouveau chef d’orchestre au lutrin ? Là, ce serait à l’été 2023… On sait qu’il est bon. On veut le voir tout de suite.

Le gouvernement de la CAQ peut choisir de continuer à mettre la pédale douce sur l’immigration et espérer rester au pouvoir grâce à cette attitude qui semble plaire à nombre de ses électeurs.

Mais arrêtons de nier la réalité : c’est au prix du développement économique de la province.

Vous savez ce que les parents disent à leurs enfants au sujet du ménage : il n’est pas fait la nuit par des elfes de maison silencieux.

Eh bien, c’est un peu le même message ici.

Pour bâtir et faire rouler des entreprises, il faut du vrai monde qui arrive ici le plus rapidement possible. Pas des personnages magiques de Harry Potter.