Il y a un an, certains pensaient que notre monde s’effondrerait. Que nos économies crouleraient sous les effets de la pandémie, littéralement.

Maintenant que le choc est passé, comment s’en sont tirées les différentes économies de la planète ? Et surtout, les économistes ont-ils vu juste, en plein brouillard, quant aux impacts économiques qu’aurait le foutu virus ? Ou ont-ils été happés psychologiquement, eux aussi, par la marée de décès, insérant un biais émotif dans leurs prévisions ?

Pour faire le point, j’ai comparé différentes économies, soit le Canada, les États-Unis, la zone euro, le Japon et, bien entendu, le Québec.

Premier constat : c’est dans la zone euro que le taux de chômage a le moins progressé en 2020. Il est passé de 7,6 % à 8,0 %, un bond de seulement 0,4 point de pourcentage. En revanche, c’est la zone euro qui a connu la plus forte déconfiture du produit intérieur brut (- 6,8 %), loin devant les autres grandes régions industrialisées.

C’est exactement l’inverse qui s’est produit aux États-Unis, avec un taux de chômage en forte hausse (4,4 points de pourcentage, à 8,1 %), mais un PIB qui décroît, somme toute, assez modestement dans le contexte en 2020 (- 3,5 %).

N’est-ce pas le signe de deux économies aux principes différents ? Les Américains se soucient davantage du PIB et les Européens, des emplois, pourrait-on dire. Cet écart devrait encore accroître les inégalités plus grandes aux États-Unis qu’en Europe.

Le Canada est entre ces deux mondes. Son économie a décru de 5,4 % et son taux de chômage a bondi de 3,8 points, à 9,5 %.

Cela dit, les prévisionnistes avaient-ils bien frotté leur boule de cristal ? Pour le savoir, j’ai comparé leurs prévisions pour le PIB et le chômage à chacun des trimestres-clés de la pandémie, soit en avril, en juin, en septembre et en décembre, grâce aux données de la Banque Nationale.

Résultat : partout, le consensus des économistes a surestimé les effets négatifs de la pandémie sur le PIB et le chômage entre juin et décembre. La perception était généralement différente au début de la pandémie, en avril, avant de virer par la suite.

Le cas du Canada est un bon exemple. Dans un premier temps, les prévisionnistes ne s’attendaient pas, en avril, à un déclin aussi important que celui qui allait survenir (- 5,4 % du PIB). Rappelez-vous, c’était une période où plusieurs prévoyaient une reprise en V et où une deuxième vague n’était pas encore évoquée.

À l’époque, les économistes de la Banque Royale (- 2,5 %) et de Desjardins (- 2,9 %) jugeaient même que l’économie canadienne s’en sortirait sans trop de mal. Et globalement, les prévisions de l’ensemble des économistes des différentes institutions financières tablaient sur un déclin moyen de 3,9 % pour 2020.

Puis, les décès se sont accumulés, et le pic de décès quotidiens a été atteint vers la fin d’avril, notamment au Québec. Les conjoncturistes se sont mis à être plus pessimistes après ce pic, ce Grand Confinement et la constatation des bouleversements de l’économie.

En juin, donc, le chiffre du consensus pour le PIB s’est établi à - 6,6 %. Le groupe le plus pessimiste voyait même l’économie s’effondrer de 9,1 % en 2020, loin du recul de 5,4 % qui est finalement survenu au terme de l’année. Ayoye.

Entre septembre et décembre, le pessimisme est demeuré, même si la fin de l’année approchait, avec le poids des nombreux mois passés sur la prévision. En moyenne, les économistes étaient trop pessimistes de 0,6 point de pourcentage en septembre et de 0,3 point en décembre. Les prévisions pour le chômage vont dans le même sens.

Même constat aux États-Unis et pour la zone euro. En moyenne, l’écart entre la prévision consensuelle du PIB et la décroissance finalement survenue aux États-Unis était de - 2,1 points de pourcentage en juin et de - 0,9 point en septembre.

C’était après les horreurs de la COVID-19 survenues à New York, notamment, et dans une période où Donald Trump sévissait. Pour la zone euro, le surpessimisme était de 1,6 point en juin et de 0,9 point en septembre.

Et au Québec ? Les deux prévisions que nous avons pu obtenir, celles de la Banque Nationale et de la Banque Royale, suivent exactement la même tendance qu’ailleurs dans le monde.

Mathieu Arseneau, chef économiste adjoint de la Banque Nationale, tente d’expliquer le phénomène. « À la fin du printemps, on ne voyait pas la fin du confinement. Nous étions pessimistes », dit-il.

Même la Banque du Canada était sous le choc, ne faisant pas de prévisions économiques en avril, « ce qui est hautement inhabituel », rappelle M. Arseneau.

Deux éléments ont été sous-estimés, selon lui. « On ne pensait pas que les programmes d’aide du gouvernement allaient être renouvelés aussi longtemps », dit-il.

Cette injection de fonds du gouvernement fédéral — comme il en est survenu ailleurs dans le monde — a fait augmenter le revenu disponible des ménages comme jamais auparavant au Canada, stimulant l’économie.

Autre élément : la réaction rapide des consommateurs aux baisses de taux d’intérêt des banques centrales. Au Canada, la forte baisse des taux hypothécaires qui en a résulté, notamment, a fait exploser le prix des maisons. « Ce fut inattendu », dit Mathieu Arseneau.

Pour ma part, j’en conclus que les économistes ont sous-estimé l’adaptation de l’économie, notamment avec le télétravail. Et ils ont été trop émotifs, oserais-je dire, comme ce fut le cas lorsque les deux avions ont foncé dans les tours jumelles, à New York.

Face à la vigueur de l’économie, les prévisionnistes sont maintenant en train de réviser leurs prévisions de 2021 à la hausse. À suivre.