(Washington) Le débat concernant les pipelines transfrontaliers incite de plus en plus de producteurs à utiliser le train pour transporter du pétrole et du gaz naturel aux États-Unis, mais des experts américains de la sécurité ferroviaire craignent que leur pays soit mal équipé contre d’éventuels accidents.

Selon eux, il faudrait une calamité d’une ampleur comparable à la catastrophe de Lac-Mégantic en 2013 avant que les Américains prennent vraiment conscience des dangers liés au transport ferroviaire des produits pétroliers.

En moyenne, plus d’un million de barils de pétrole brut traversent l’État de Washington chaque semaine, dont une petite partie, environ 13 %, proviennent de l’Alberta et de la Saskatchewan, selon le ministère de l’Écologie de l’État.

Le déraillement de sept wagons-citernes qui ont ensuite pris feu à l’extérieur de la ville de Bellingham, une ville de 90 000 habitants de l’État de Washington, a rappelé les dangers du transport ferroviaire

« Il devra y avoir plusieurs morts avant d’obtenir l’attention des autorités réglementaires que mérite l’industrie, selon moi. Et c’est une tragédie qui nous pend au bout du nez », dit Eric de Place, un expert en politique énergétique et directeur au Sightline Institute, un groupe de réflexion établi à Seattle.

En juillet 2013, un train chargé de pétrole a déraillé et a explosé au cœur de Lac-Mégantic, tuant 47 personnes et détruisant la moitié du centre-ville. Il s’agit de l’accident de train de marchandises le plus meurtrier de l’histoire du Canada.

La tragédie a mis l’accent sur le transport du pétrole par rail au Canada, ce qui a entraîné un certain nombre de changements réglementaires, dont l’élimination progressive des wagons-citernes DOT-111 ou TC-111 et l’interdiction d’employer une seule personne pour s’occuper d’un train.

Aux États-Unis, les nouvelles règles entrées en vigueur en 2016 n’interdisent pas explicitement l’utilisation des wagons DOT-111 pour les marchandises inflammables, dit Fred Millar, un analyste indépendant du secteur ferroviaire d’Alexandrie, en Virginie.

Un rapport du Bureau of Transportation soumis au Congrès en septembre révèle que les DOT-111 ont cessé de transporter du pétrole brut en 2018, mais ces wagons transportent toujours des liquides inflammables comme l’éthanol et ne disparaîtront pas complètement avant 2029.

En 2019, selon le rapport, 73 % du parc de wagons-citernes transportant du pétrole brut aux États-Unis comprenait des DOT-117, un wagon-citerne plus lourd muni de vannes plus solides et de boucliers renforcés à chaque extrémité.

« Plus de 99,99 % de tous les matériaux dangereux transportés par chemin de fer atteignent leur destination sans qu’il y ait une fuite provoquée par un accident », se défend Jessica Kahanek de l’Association of American Railroads.

Mis en service après l’accident de Lac-Mégantic, les DOT-117 ne sont que « marginalement plus sûrs » que leurs prédécesseurs, souligne M. Millar qui ajoute que le Congrès a toujours refusé d’imposer des limites sur la longueur ou la vitesse des trains, ou d’exiger que les marchandises dangereuses soient détournées des centres de population.

« Le problème avec la sécurité des wagons est qu’il y a un compromis entre le poids de la voiture et la quantité de produit que l’on peut transporter. Il y a un conflit entre la sécurité et le profit, déclare-t-il. Si on met plus d’acier pour se protéger des crevaisons, cela signifie qu’on doit mettre moins de produit. »

Les exportations de pétrole et de gaz naturel du Canada dépendent fortement des prix des produits de base. Les expéditions de brut par chemin de fer ont dégringolé l’été dernier lorsque le prix du pétrole s’est effondré au milieu de la pandémie de COVID-19.

Mais ces exportations reprennent peu à peu : le Canada a exporté plus de 190 000 barils par jour en décembre 2020, soit le double du volume affiché à peine quatre mois auparavant, selon les données fédérales.

Les écologistes s’opposent depuis longtemps à des projets de pipeline comme Keystone XL de TC Energy et les canalisations 3 et 5 d’Enbridge par crainte d’une plus grande exploitation des sables bitumineux de l’Alberta et d’une dépendance accrue de l’Amérique du Nord aux combustibles fossiles.

Le président Joe Biden a annulé le prolongement de Keystone XL dès le premier jour de son mandat. De son côté, la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, souhaite fermer la ligne 5, qui relie le Wisconsin et Sarnia, en Ontario, par le détroit de Mackinac entre les lacs Michigan et Huron.

Le ministre canadien des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, s’est engagé à défendre la ligne 5, qu’il a qualifiée de source vitale d’énergie et d’emplois au Michigan et en Ohio, ainsi qu’en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et au Québec.

Cette ressource va arriver sur le marché par tous les moyens disponibles, y compris les moins fiables, a dit M. O’Regan au comité spécial sur la relation économique entre le Canada et les États-Unis de la Chambre des communes.