À sa face même, la situation est tout à fait irréelle. Air Canada, qui vient d’encaisser une perte nette de 4,6 milliards à son plus récent exercice financier, a reçu le feu vert du gouvernement fédéral pour réaliser l’acquisition de Transat, qui a mis un terme à ses activités il y a tout juste deux semaines, et ce, jusqu’au 30 avril prochain. Pourtant, aussi incongrue qu’elle apparaisse, cette transaction reste la seule envisageable et devient donc inévitable.

Habituellement, quand on est sur le point de célébrer un mariage, on souhaite que cette prochaine union renforce la somme des parties et qu’elle devienne la base éventuelle d’une prolifique descendance. Dans le cas de l’acquisition de Transat par Air Canada, on a plutôt l’impression que l’union des deux groupes ne fera pas des enfants forts.

L’industrie du transport aérien est encore loin d’être arrivée au bout de la pire crise de son histoire. Tout le monde s’entend sur le fait qu’il faudra des années de dure reconstruction avant de revenir au niveau d’achalandage record observé en 2019.

Même une fois que les contraintes gouvernementales sur les vols à destination de l’étranger seront levées, ce n’est que lorsque l’éradication du nouveau coronavirus sera officiellement déclarée que l’on pourra espérer un lent et progressif retour à une nouvelle « normalité ».

Dans ce contexte encore hautement incertain, la décision du gouvernement fédéral d’autoriser l’acquisition de Transat – qui est survenue la veille du dévoilement des résultats financiers désastreux d’Air Canada – apparaît donc comme l’ultime et unique solution qui permettra la reprise très laborieuse des activités du groupe québécois.

On le sait, la pandémie a détruit les activités des deux transporteurs aériens, mais son impact sur le bilan de Transat est tel qu’on peut difficilement entrevoir comment l’entreprise pourrait émerger seule de la crise.

Il y a deux ans, au moment où Transat a annoncé qu’elle était en pourparlers avec des acquéreurs potentiels, le groupe affichait une valorisation boursière de 215 millions, malgré le fait qu’il était assis sur des liquidités de plus de 600 millions. Le jeu de la surenchère a permis de porter à 720 millions le prix d’une transaction acceptée avec Air Canada.

Depuis le déclenchement de la crise, Transat a brûlé 70 % de ses liquidités et a dû s’endetter pour poursuivre ses activités jusqu’au 29 janvier dernier, lorsque les nouvelles consignes gouvernementales l’ont forcée à les suspendre jusqu’au 30 avril.

La direction et les actionnaires de Transat ont accepté en décembre dernier la nouvelle proposition d’Air Canada de débourser 190 millions plutôt que les 720 millions attendus parce qu’ils savaient que c’était la seule option viable qui s’offrait à eux.

Exploiter une entreprise du secteur du transport aérien et du tourisme exige des compétences et des habiletés extrêmement fines, ce n’est pas comme gérer un parc de taxis ou une chaîne de dépanneurs. De son côté, Air Canada a démontré au cours des dernières années qu’elle avait considérablement raffiné et professionnalisé ses capacités de gestionnaire.

Faire émerger la concurrence

Il n’en reste pas moins que le regroupement de Transat avec Air Canada va irrémédiablement réduire la concurrence dans le secteur du transport aérien. Le gouvernement fédéral a beau avoir tracé certaines balises pour atténuer les effets négatifs pour les voyageurs, le problème de la concentration va rester entier.

Cette réalité était criante avant la crise, mais le contexte complètement éclaté qu’a généré la pandémie en a minimisé la portée. Soit Transat – ainsi que son siège social et les 1500 emplois que l’on espère sauver – disparaît au cours des prochains mois, soit l’entreprise a une chance de redécoller progressivement au sein d’un plus grand groupe mieux armé pour traverser le reste de la tempête.

La menace de la concentration n’est pas unique au Québec puisqu’on sait maintenant que WestJet est sur le point de faire une offre en vue d’acquérir le groupe de voyage Sunwing – là aussi deux groupes fortement ébranlés cherchent une solution de sortie de crise.

On pourrait donc bientôt se retrouver au Canada avec un duopole de transporteurs aériens aux prises avec des besoins financiers urgents, qui comptent sur une aide fédérale qui tarde toujours à s’articuler. L’aspect irréel de la situation est on ne peut plus évident.

Idéalement, il aurait fallu que Transat reste une entreprise indépendante capable d’assumer seule son développement et son expansion. La crise a fait exploser cette éventualité.

La mise en place de monopoles peut devenir l’élément déclencheur qui favorisera l’émergence de nouveaux groupes plus agiles et audacieux. On n’a qu’à penser à l’emprise qu’a longtemps exercée Bell Canada au Québec, mais ce monopole a stimulé l’émergence de nouveaux acteurs tels que Vidéotron ou Cogeco, qui sont capables aujourd’hui de lui faire concurrence à armes égales.

Déjà, la crise qui a amené Air Canada à mettre fin à plusieurs liaisons régionales a poussé plusieurs petits acteurs à s’organiser pour offrir des dessertes locales et combler les besoins laissés vacants par le gros transporteur.

Si Air Canada s’avise de profiter de son monopole sur les destinations de vacances en Europe ou dans le Sud pour arnaquer les voyageurs, les consommateurs n’hésiteront pas à appuyer de nouveaux acteurs désireux de se tailler une niche. La concurrence aura toujours meilleur coût.