L’Administration portuaire de Montréal a réussi jusqu’à maintenant à rétablir le bon fonctionnement de sa chaîne logistique malgré la pandémie qui provoque le chaos dans le transport maritime mondial, mais la menace d’un nouveau conflit de travail inquiète les utilisateurs du port.

Après 10 jours d’une grève coûteuse à l’été 2020 au port de Montréal, l’Association des employeurs maritimes et le Syndicat des débardeurs ont conclu une trêve jusqu’au 20 mars de cette année. Cette période de sept mois devait permettre aux deux parties de conclure une nouvelle entente négociée.

Rien n’a encore transpiré des discussions toujours en cours. L’employeur, l’Association des employeurs maritimes, s’est refusé à tout commentaire. « Notre priorité demeure la signature d’une convention collective négociée d’ici la fin de la trêve, le 21 mars », a fait savoir une porte-parole, Isabelle Pelletier. Les représentants du Syndicat des débardeurs n’ont pas rappelé La Presse.

Selon l’Administration portuaire de Montréal, les négociations évoluent, mais la date butoir approche. « Le temps file et avec la trêve qui se terminera le 21 mars prochain, nous souhaitons ardemment qu’une résolution satisfaisante pour les deux parties soit conclue rapidement », a fait savoir Mélanie Nadeau, porte-parole du Port de Montréal.

L’inquiétude grandit chez tous les acteurs économiques de Montréal, qui ont commencé à faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’un conflit soit évité. L’incertitude actuelle nuit déjà au port de Montréal, selon le président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux.

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Grève des débardeurs à l’été 2020

« Les armateurs ont un plan de contingence et ils n’attendront certainement pas de recevoir un avis de grève avant de le mettre en œuvre », dit celui dont les membres transportent 2400 conteneurs par jour.

Lors du conflit de l’été dernier, des navires avaient dû être déroutés vers les ports concurrents, comme celui d’Halifax.

Après avoir dû gérer coup sur coup un blocus ferroviaire, un conflit avec les débardeurs et la première vague de la pandémie, l’Administration portuaire de Montréal a repris le contrôle de ses activités, assure sa direction. « La chaîne logistique est fluide et la marchandise rentre [au port] et sort du port normalement », affirme Mélanie Nadeau.

Chaîne perturbée

Au printemps, le monde entier s’est mis sur pause pour contrer les assauts du coronavirus. Les usines chinoises ont ralenti le rythme et les conteneurs pleins se sont accumulés sur les quais partout sur la planète.

À Montréal, les spécialistes en logistique ont dû travailler fort afin de trouver des solutions pour accueillir une marchandise qui ne pouvait pas être acheminée aux magasins, aux centres de distribution et aux entrepôts, qui avaient tous dû cesser leurs activités.

CargoM, l’association au service des utilisateurs du port de Montréal, est venue en renfort. « On avait un plan B pour les entreprises qui cherchaient de l’espace en urgence », dit son directeur général, Mathieu Charbonneau.

Après avoir lancé un appel à tous, l’organisation a recensé tous les terrains disponibles dans la grande région de Montréal. Un inventaire de 16 millions de pieds carrés d’espace extérieur et de 1,9 million de pieds carrés d’espace intérieur a été réalisé pour répondre aux besoins d’entreposage des entreprises.

Finalement, cette banque de terrains n’a pas été utilisée, selon Mathieu Charbonneau. « Lors de la deuxième vague de fermetures, à l’automne, les centres de distribution et les entrepôts sont restés ouverts, ce qui a fait toute la différence », explique-t-il.

Si la situation a pu revenir à la normale à Montréal, la chaîne logistique du transport de marchandises est encore très perturbée par la pandémie. Des ports congestionnés, des transporteurs débordés et une pénurie de conteneurs occasionnent des retards dans les livraisons et une augmentation généralisée des coûts du transport maritime.

Au Québec, les entreprises qui dépendent du transport maritime sont en alerte. Dollarama, qui achète 53 % de sa marchandise directement auprès de fournisseurs étrangers, surtout chinois, « n’a pas connu de problème important d’approvisionnement depuis le début de la pandémie », a fait savoir une porte-parole par courriel, mais l’entreprise « surveille de près l’évolution du secteur du transport maritime dans le contexte de ses activités d’approvisionnement ».

La Société des alcools du Québec (SAQ), qui est un des plus grands utilisateurs des services du Port de Montréal, s’est dotée d’une sorte de police d’assurance contre les soubresauts de la chaîne logistique.

« Nos coûts sont stables parce que la SAQ a accordé des contrats de transport maritime à long terme l’an dernier », a fait savoir son porte-parole, Yann Langlais Plante.

La disponibilité des conteneurs reste toutefois un sujet de préoccupation pour la SAQ. « Une disponibilité des conteneurs plus restreinte peut causer des délais, a-t-il dit. Dans ce contexte, nous avons haussé nos stocks dans nos centres de distribution de Montréal et de Québec pour pallier de potentiels retards. »

« La tempête parfaite »

Quand le commerce mondial est tombé en panne, au printemps 2020, l’industrie du transport maritime se préparait au pire. La reprise allait être longue et lente.

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Il y a en tout temps 24 millions de conteneurs en circulation dans le monde.

C’est tout le contraire qui s’est produit, observe Robert Bellisle, président et chef de la direction de QSL, une entreprise de Québec spécialisée dans l’opération des terminaux portuaires.

« La reprise en V, on l’a vécue, dit-il. Tout est reparti très vite. » La chaîne logistique, qui s’était contractée de 30 %, a été prise d’assaut.

Une fois sortie de l’épidémie de coronavirus qui l’avait frappée en premier, la Chine s’est remise à importer massivement des matières premières et des céréales pour faire tourner son économie. En même temps, les populations confinées ailleurs dans le monde se lançaient dans la rénovation, le jardinage et l’achat en ligne.

À la fin de 2020, le volume total de marchandises transportées par conteneur était plus élevé qu’en 2019, malgré la pandémie

« La tempête parfaite », résume Robert Bellisle, qui rappelle que 80 % des biens consommés dans le monde sont livrés par bateau.

Les transporteurs maritimes ont été vite débordés, surtout que les ports d’accueil de la marchandise étaient ralentis par les restrictions sanitaires ou paralysés par le manque de main-d’œuvre dans la chaîne logistique.

Marc Bibeau, président de Groupe OEC et spécialiste de la logistique de transport, souligne que des cargos ont été immobilisés dans certains ports pendant des jours, parfois des semaines en attendant d’être déchargés.

Aux ports de Los Angeles et de Long Beach, en Californie, une trentaine de ces mastodontes étaient immobilisés en même temps au début de février. « Vous imaginez-vous combien ça peut coûter ? », lance-t-il.

Ce ralentissement a eu un impact sur toute la chaîne de transport, de la disponibilité des navires jusqu’à celle des conteneurs. Les conteneurs vides, par exemple, n’ont pas pu être rapportés au même rythme dans les cargos surchargés, et restent éparpillés un peu partout.

Il y a en tout temps 24 millions de conteneurs en circulation dans le monde et maintenant que la chaîne est rompue, la pénurie de conteneurs est un casse-tête de plus à résoudre.

La conséquence de ces ratés a été une flambée des prix. Le coût de transport d’un conteneur de 20 pieds a été multiplié par trois, estime Marc Bibeau. « Éventuellement, ces coûts-là vont commencer à affecter les consommateurs et alimenter l’inflation », craint-il.

Pour le moment, les transporteurs sont du bon côté de l’équation. Ils font des affaires d’or. Le plus important transporteur maritime au monde, Maersk, a multiplié son bénéfice net par six en 2020. Le transport par train et par camion vit aussi une période faste.

La situation pourrait se régulariser d’ici la fin de l’année, prévoit Robert Bellisle, de QSL. « On devrait retrouver une certaine fluidité », espère-t-il.

Selon lui, une crise comme celle-là pourrait forcer des innovations dans le transport maritime, un secteur traditionnel qui bouge très lentement. « On pourrait, par exemple, faire du cabotage dans la voie maritime pour aller chercher les conteneurs vides », dit-il.