Des milliers de télétravailleurs risquent de perdre de l’argent lors de leur prochaine déclaration de revenus parce que leur employeur rechigne à remplir les formulaires permettant à leurs employés à domicile, surtout locataires, d’obtenir un remboursement d’impôt plus généreux.

Récemment, une grande firme d’ingénierie canadienne a annoncé à ses employés qu’elle ne remplirait pas les deux formulaires, celui du fédéral (T2200S) et du provincial (TP-64.3), qui permettent de déduire de façon détaillée les dépenses reliées au télétravail. Ses télétravailleurs doivent se rabattre sur la méthode à taux fixe, qui ne nécessite aucune action de l’employeur et qui permet de déduire 2 $ par jour travaillé à domicile jusqu’à 400 $.

Or, cette méthode simplifiée n’est pas optimale pour tous. Un lecteur employé de cette firme a calculé qu’au lieu des 400 $, il pourrait réclamer 2200 $ de dépenses avec la méthode détaillée.

Les deux gouvernements ont fait des efforts en simplifiant les formulaires et, au provincial, en offrant aux entreprises des formulaires préremplis. Toutefois, si un employeur ne veut pas les remplir et les signer, Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada ont confirmé à La Presse que l’employé n’avait aucun recours.

« Aucune sanction spécifique n’est prévue dans les lois fiscales pour forcer la production de ce formulaire », nous indique la conseillère en relations publiques de Revenu Québec Marie-Pierre Blier. « Il revient effectivement à l’employé d’entreprendre des démarches auprès de son employeur pour faire prévaloir son point de vue et demander la production du TP-64.3. »

Du côté fédéral, aucune sanction n’est prévue non plus. « Bien qu’un employeur ne soit pas obligé en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de remplir le formulaire T2200 ou T2200S, l’Agence du revenu du Canada est convaincue que les employeurs veulent aider leurs employés à réclamer la déduction à laquelle ils ont droit », explique Charles Drouin, porte-parole de l’Agence du revenu du Canada.

Finalement, après avoir discuté avec son employeur, le lecteur nous a écrit que la firme d’ingénierie avait accepté de faire une exception et lui fournira les formulaires. Si son taux d’imposition marginal combiné est de 50 %, il obtiendra une diminution d’impôt de 1100 $, plutôt que de 200 $ avec la méthode à taux fixe. Si son taux est plutôt de 30 %, la réduction d’impôt s’élèvera à 600 $, plutôt qu’à 120 $ avec la méthode à taux fixe.

Vraiment compliqué pour l’employé ou cher pour l’employeur ?

Sur le site d’information interne du centre de services scolaire de Montréal (anciennement la Commission scolaire de Montréal), le service des ressources humaines explique les deux méthodes aux employés, mais incite à opter pour celle à taux fixe en citant l’Association canadienne de la paie.

« […] le montant de déduction obtenu en utilisant la méthode détaillée pourrait ne pas nécessairement valoir le temps et les efforts qui devront être investis pour l’appliquer », dit-on aux enseignants, aux gestionnaires et aux professionnels.

En entrevue téléphonique avec La Presse, l’Association canadienne de la paie explique que c’est elle qui a suggéré à l’Agence du revenu du Canada et à Revenu Québec de simplifier le processus pour les 8 millions de télétravailleurs canadiens, selon ses calculs, dont 700 000 au Québec.

« Il y a un coût pour l’employeur associé à cette tâche. Ça prend du temps », soutient Rachel De Grâce, directrice des affaires gouvernementales et législatives à l’Association canadienne de la paie. « Nous avons fait un sondage auprès de nos membres et, avec le salaire moyen, la méthode à taux fixe permet des économies qu’on estime à 34 millions pour les employeurs québécois et à 194 millions pour les employeurs canadiens. »

De leur côté, les comptables et les spécialistes de l’impôt que La Presse a consultés sont catégoriques : ils proposeront à leurs clients la méthode la plus généreuse selon leur situation.

« Je vais suggérer la meilleure méthode, peu importe le temps de préparation. Je recommande aux clients la même chose que je ferais pour moi-même dans le but d’économiser sur l’impôt », soutient Luce Morin, CPA, CA, chez Activ services comptables et fiscaux.

« L’Association canadienne de la paie fait une recommandation pour les employeurs. Chaque personne est en droit d’optimiser sa situation fiscale », affirme Sylvain Fontenelle, CPA, CGA, associé responsable du service de la fiscalité au cabinet MTA.

« L’Association canadienne de la paie n’est pas là pour maximiser le remboursement d’impôts des employés », renchérit Josée Cabral, spécialiste de l’impôt supérieur chez H&R Block. « Je ne ferais pas bien mon travail si j’y allais d’emblée avec la méthode à taux fixe. »

Josée Cabral affirme que les pièces justificatives les plus payantes pour la méthode détaillée ne sont pas si compliquées à trouver et valent l’effort. Il s’agit notamment du bail, des factures d’électricité, de l’internet et du téléphone cellulaire ainsi que les polices d’assurance habitation.

Cependant, avant de solliciter votre employeur pour obtenir les deux formulaires remplis et signés, les spécialistes recommandent de faire une simulation afin de savoir si la méthode détaillée est vraiment plus avantageuse.

Faites le calcul.

« Il faut prendre le temps de faire la simulation, c’est tellement facile », assure Josée Cabral.

Si les locataires peuvent déduire leur loyer, les propriétaires ne peuvent pas déduire leur hypothèque. Le fait de réclamer une déduction comme télétravailleur ne change pas le statut d’une résidence principale lors de la revente. Il n’y aura pas de gain en capital.