(Ottawa et Québec) Si Ottawa et Québec s’accusent mutuellement d’être responsables de certains ratés de la campagne de vaccination, ils s’entendent sur une chose : les graves lacunes de capacité de production de vaccins au pays y sont pour quelque chose. Une situation que l’on tente de corriger, une usine à la fois.

C’est la ministre de l’Approvisionnement, Anita Anand, qui l’a résumé de la façon la plus franche la semaine dernière : le Canada a levé la main pour produire ici un vaccin contre la COVID-19, mais de grandes sociétés pharmaceutiques l’ont boudé en raison de l’insuffisance de sa capacité manufacturière. Cette érosion survenue au fil des dernières décennies, le nouveau ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, veut s’y attaquer.

Les dernières semaines ont été marquées par le ralentissement des livraisons des doses de Pfizer et de Moderna. Par conséquent, le Canada a dégringolé au palmarès des pays qui vaccinent le plus – il se trouvait au 37e rang en date du 7 février, selon le classement d’Our World in Data.

Et même si Justin Trudeau a voulu insuffler un peu d’espoir en annonçant que des doses du vaccin Novavax devraient être produites à Montréal en vertu d’une entente de principe avec la société, l’enthousiasme a baissé d’un cran lorsque François-Philippe Champagne a précisé tout juste après que les premières doses n’arriveraient pas avant la fin de l’année 2021.

Mais derrière ces espoirs déçus, il y a un contexte. D’abord, les gouvernements antérieurs, conservateurs et libéraux, se sont graduellement désinvestis de la fabrication vaccinale domestique. Quant à l’industrie pharmaceutique, pour qui la fabrication de vaccins n’était pas une activité des plus lucratives, elle a choisi de s’installer dans des pays où la capacité manufacturière est supérieure – États-Unis, Royaume-Uni, Inde, etc.

ll y a donc tout un rattrapage à faire. Le futur centre de biofabrication du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), sur l’avenue Royalmount, constitue donc « un des premiers piliers » des ambitions du gouvernement pour se redonner une industrie digne de ce nom, affirme en entrevue le nouveau titulaire du portefeuille de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

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Le futur centre de biofabrication du Conseil national de recherches du Canada, sur l’avenue Royalmount

« On est en train d’investir et de rebâtir. Mon rôle, c’est d’accélérer et d’étendre la capacité manufacturière ici au Canada ; certainement en termes de vaccins », expose-t-il, insistant sur le fait que bâtir une usine de fabrication de vaccins ne se fait pas en un claquement de doigts. On ne peut comparer cela à la vitesse avec laquelle des industries se sont converties, pendant la première vague, pour fabriquer des masques ou construire des respirateurs.

« Quand on parle d’une usine qui est déjà faite avec des processus, avec une chaîne de montage, par exemple General Motors qui se met à faire des masques N95, c’est du réoutillage, c’est-à-dire que tu prends ta chaîne et que tu l’ajustes un peu. Là, dans bien des cas, tu bâtis une usine au complet », illustre le ministre, qui a œuvré au sein de grandes entreprises de génie et d’innovation avant de faire le saut en politique.

« Mais pour la biofabrication, habituellement, ça prend deux ou trois ans à bâtir, au bas mot. Ce n’est pas comme une usine de sciage en Mauricie », enchaîne M. Champagne.

Il y a énormément de protocoles à suivre en matière de santé et sécurité, et pour obtenir et garder la certification. On parle de vaccins, quand même.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Investir dans les installations du CNRC, même s’il n’en sortira pas de doses de Novavax avant la fin de l’année, était judicieux car « on ne sait pas ce qui s’en vient » en ce qui concerne la pandémie, argue-t-il.

Medicago : objectif 2023

En plus d’avoir placé ses pions en injectant 126 millions pour le site de Royalmount, le gouvernement Trudeau a subventionné la société québécoise Medicago à hauteur de 176 millions. L’argent sert à la fois au développement de ce premier vaccin qui serait conçu et fabriqué au Québec, et à la construction d’une usine dans l’écoquartier d’Estimauville, à Québec.

Mais là encore, même si les essais cliniques du vaccin candidat produit dans des plantes vont bon train – la troisième phase se mettra en branle dans les prochaines semaines auprès de 30 000 personnes dans 10 pays –, il faudra attendre jusqu’à 2023 avant de couper le ruban rouge devant les nouvelles installations, affirme Nathalie Landry, vice-présidente aux affaires médicales et scientifiques chez Medicago.

« On essaie de faire le mieux qu’on peut pour la rendre opérationnelle plus rapidement. Je pense que c’est important que le public comprenne qu’avoir une usine fonctionnelle, ça prend du temps », insiste-t-elle au téléphone. Dans l’intervalle, on prévoit fabriquer 80 millions de doses en 2021, à partir de deux usines déjà opérationnelles : l’une au Québec, l’autre en Caroline du Nord.

« C’est arrivé si vite ! »

Il reste donc encore bien du chemin à faire avant d’atteindre l’autosuffisance. Mais à la décharge du gouvernement, il faut noter que les vaccins contre la COVID-19 sont arrivés sur le marché beaucoup plus rapidement que prévu, affirme le DAlan Bernstein, PDG de l’organisation de recherche CIFAR et fondateur des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).

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Le Dr Alan Bernstein, PDG de l’organisation de recherche CIFAR et fondateur des Instituts de recherche en santé du Canada

« À peu près personne ne s’attendait à un vaccin en moins d’un an, et là, on en déjà deux approuvés au Canada. C’est arrivé si vite ! Cela dit, il y a du rattrapage à faire, non pas sur le plan scientifique, mais sur le plan manufacturier. Ça prend du temps », affirme dans un entretien celui qui est également membre du groupe de travail fédéral sur les vaccins contre la COVID-19.

Pour rattraper le retard, il faut selon lui créer un pôle vaccinal central, ou quelques centres nerveux majeurs.

« On y fabriquerait des vaccins pour les Canadiens en cas d’une autre crise comme celle de la COVID-19, et des vaccins contre d’autres virus, la polio, la rougeole, à des fins d’exportation dans d’autres pays, histoire de générer des profits. Le gouvernement pourrait en financer les dépenses en capital, et les opérations pendant un certain temps », suggère le DBernstein.

Québec « très ouvert » à aider les fabricants

 Le gouvernement Legault rêve déjà d’un Québec d’après-crise plus autonome. L’être davantage sur le plan de la production vaccinale fait partie des visées du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, qui veut participer au développement des acteurs québécois de l’industrie tout en attirant des fabricants étrangers.

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Le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, et le premier ministre François Legault

« On l’a vécu avec les masques au début de la pandémie. C’est clair que notre dépendance à l’international, on a été très affectés par ça », illustre d’emblée le ministre en entrevue à La Presse. Le Québec doit être « plus confortable » dans son approvisionnement de biens stratégiques, ajoute-t-il.

Production québécoise d’équipements de protection individuelle (EPI), de médicaments « stratégiques » et de vaccins, le Québec doit répondre présent, selon lui. Un souhait par ailleurs évoqué par le premier ministre François Legault.

« Le premier ministre l’a dit lui-même : l’achat local, ce n’est pas juste Le Panier bleu », lance M. Fitzgibbon.

On s’est fait frapper dans la face par un ennemi sanitaire qui est la COVID-19, mais après, il va y avoir d’autres problèmes sanitaires. Je pense que nous sommes maintenant dans un environnement très complexe. Au niveau des EPI, des médicaments et des vaccins, on veut le faire.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

Cela passe par le soutien des acteurs québécois, comme Medicago – dans laquelle le gouvernement a investi 7 millions en mars – et des sociétés étrangères qui souhaitent s’établir au Québec. M. Fitzgibbon cite évidemment l’entreprise américaine Novavax.

« Moi, je leur parle, on leur a parlé régulièrement avec nos équipes, et si on peut les convaincre de construire une usine permanente ici au Québec, on va être très heureux de le faire », a-t-il indiqué.

En discussion

Il affirme par ailleurs que son ministère et Investissement Québec ont des « discussions précises » avec « cinq, six » fabricants de vaccins « pour leur dire qu’on peut les aider ».

« On est très ouverts au Québec à aider ces entreprises-là », martèle le ministre. Il cite la construction des installations de Medicago à Québec. Est-ce que Québec pourrait accorder des fonds supplémentaires ? « Absolument, répond-il. C’est clair que Medicago, c’est une entreprise qu’on veut aider. »

Le ministre dit aussi vouloir « travailler » avec le producteur de vaccins GlaxoSmithKline (GSK) qui veut moderniser son usine de production à Québec.

Au [ministère de l’Économie], on parle directement avec des compagnies québécoises qui veulent obtenir un soutien financier pour le processus d’avoir un vaccin homologué, donc, on finance une partie des phases I, II et III. On va aussi financer une partie des immobilisations pour construire une partie des usines.

Pierre Fitzgibbon

Le ministère de l’Économie « surveille » aussi des sociétés québécoises comme IMV, Glycovax, Biodextris, SmokePond, Nexelis et Angany qui ont le potentiel pour accroître la capacité de production de vaccins dans la province. Québec a versé 2,6 millions à Angany en septembre pour appuyer le développement du vaccin contre la COVID-19.

Efforts des provinces

Le ministre de l’Économie se dit « parfaitement aligné » avec son vis-à-vis du fédéral, François-Philippe Champagne, pour que le Canada devienne autonome quant à la production vaccinale. Les sociétés que Québec aiderait financièrement devront d’ailleurs promettre que leur vaccin sera « disponible pour le marché canadien ».

« Sur la base nationale, il y a un désir très, très fort d’être autosuffisant en vaccin, et même si le fédéral est responsable […], on voit maintenant, un effort très grand des provinces pour l’atteindre », explique-t-il.

« On le voit tous, il y a beaucoup de pression sur Justin Trudeau en ce moment, alors c’est clair pour tout le monde, je pense, que les provinces doivent travailler avec le fédéral », poursuit celui qui espère profiter de ce « momentum » pour redynamiser l’industrie des sciences de la vie au Québec. « On est toujours mieux deux que seul. »