Des employés mis en congé forcé par leur employeur qui bénéficie de la subvention salariale du gouvernement fédéral peuvent profiter d’un aspect méconnu du programme : ils ont touché un pourcentage de leur salaire habituel pendant des mois grâce à la subvention salariale tout en occupant un nouvel emploi rémunéré. Ils perçoivent ainsi deux revenus en même temps, pour une seule charge de travail.

Dans une entreprise québécoise, environ une dizaine d’employés en congé forcé qui travaillent en technologie — où il y a une pénurie de main-d’œuvre au Québec — ont ainsi touché un double revenu pendant une certaine période, a appris La Presse. L’employeur s’en est rendu compte quand il a rappelé ces employés au travail. Certains d’entre eux ont alors démissionné en expliquant avoir trouvé un nouvel emploi en techno dans une autre entreprise.

D’autres ont continué leur deuxième emploi et conservé leur subvention salariale en se prévalant de leur droit de refuser un retour au travail parce que l’employeur ne leur offrait pas exactement leur ancien poste (ils auraient tout de même travaillé dans leur domaine d’expertise précis). La Presse a consenti à ne pas nommer l’entreprise en question.

Les employés avaient le droit d’agir ainsi en vertu des règles du programme de subvention salariale fédérale. Contrairement à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) ou à l’assurance-emploi, le gouvernement Trudeau n’a pas prévu de mécanisme pour empêcher ce « double revenu » dans le programme de subvention salariale, a confirmé Ottawa.

« La Subvention salariale d’urgence du Canada a été conçue pour protéger les emplois au Canada. Cette mesure de soutien a déjà aidé quatre millions de Canadiens à conserver leur emploi et vise les entreprises de toutes les tailles et dans tous les secteurs afin qu’aucun travailleur ne tombe entre les mailles du filet. La Subvention salariale a eu l’appui unanime de tous les membres du Parlement et de tous les partis politiques », a indiqué le cabinet de la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland, dans une déclaration écrite.

1 % des bénéficiaires de la subvention salariale sont en congé forcé

Les employés en congé forcé par leur employeur — qui peuvent ainsi gagner en théorie deux revenus pour une charge de travail s’ils trouvent un deuxième emploi — représentent une infime minorité des employés profitant de la subvention salariale.

Au Québec, pour juillet 2020 (alors qu’il n’y avait pas de confinement), environ 1 % des employés recevant la subvention salariale étaient en congé forcé. Il est logique de penser que cette proportion est un peu plus élevée durant un confinement. Au Québec, les employés en congé forcé sur la subvention salariale ont reçu 20,5 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral pour le mois de juillet 2020.

Le Conseil du patronat n’est pas surpris

Le Conseil du patronat du Québec, qui regroupe 70 000 employeurs, n’est pas au courant de cas d’entreprises où des employés en congé forcé ont bénéficié de la subvention salariale même s’ils avaient trouvé un nouvel emploi. Mais l’organisme estime qu’il n’est pas surprenant d’avoir certains cas avec un double revenu.

« Le fait que certains employés pour qui l’entreprise a demandé la subvention salariale exercent un deuxième emploi n’est pas surprenant étant donné que les difficultés de recrutement de la main-d’œuvre sont redevenues en tête des préoccupations des employeurs. L’avantage de la subvention salariale est que ce programme ne contribue pas à accentuer le phénomène de rareté de main-d’œuvre, contrairement à d’autres mesures comme la PCU », a indiqué le Conseil du patronat dans une déclaration écrite.

Un mécanisme de récupération pour l’assurance-emploi et la PCU

Le programme de subvention salariale fédérale se divise en deux : un programme pour les employés qui continuent de travailler pour leur employeur, et un programme pour les employés mis en congé forcé par leur employeur, mais qui conservent leur lien d’emploi grâce à la subvention salariale. Depuis octobre, les montants de la subvention salariale pour les employés en congé forcé ont été ajustés pour être harmonisés avec les montants du programme d’assurance-emploi.

La décision d’Ottawa de ne pas prévoir de mécanisme de remboursement de la subvention salariale en cas de deuxième source de revenus tranche avec deux autres programmes fédéraux : la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et l’assurance-emploi.

Pour la PCU, Ottawa a décidé qu’une personne ayant perdu un emploi à cause de la COVID-19 ne pouvait pas gagner plus de 1000 $ par mois, toutes autres sources de revenus confondues.

Pour l’assurance-emploi, Ottawa réduit d’au moins 50 % les prestations d’assurance-emploi si la personne trouve de nouveaux revenus d’emploi (comme un nouvel emploi), jusqu’à un certain seuil. Après ce seuil, Ottawa déduit 100 % du nouveau salaire sur les prestations d’assurance-emploi. Résultat : une personne qui trouve un nouvel emploi plus payant que son ancien précédent n’a plus droit à l’assurance-emploi.

Pour la subvention salariale en congé forcé, c’est le contraire : l’employé garde 100 % de sa subvention salariale, peu importe son nouveau salaire puisque Ottawa n’a pas prévu de mécanisme de récupération. À la décharge du fédéral, un mécanisme de récupération n’aurait pas été simple et son coût pourrait être prohibitif. La subvention salariale est versée du gouvernement fédéral à l’employeur, qui ne sait pas nécessairement si son employé en congé forcé a un nouvel emploi.

Au plus fort de la crise économique liée à la COVID-19, en juillet 2020, environ 4,4 millions de Canadiens bénéficiaient de la subvention salariale, qui payait jusqu’à 75% du salaire (la subvention a diminué depuis). En novembre 2020, dernier mois où Ottawa a des données complètes, 2,4 millions d’employés faisaient partie de la subvention salariale.

L’ensemble du programme de subvention salariale devrait coûter 86 milliards sur deux ans au gouvernement fédéral, selon les dernières estimations du Directeur parlementaire du budget en décembre.