On s’en sert depuis longtemps pour la production d’ammoniaque et le raffinage du pétrole, par exemple. L’hydrogène, une molécule toute simple qui est une composante de l’eau, connaît aujourd’hui un regain de faveur à l’échelle mondiale à cause de ses usages qui se multiplient et de la possibilité d’en fabriquer à grande échelle avec de l’énergie verte pour propulser les trains et les camions lourds et alimenter des procédés industriels très gourmands en énergie. Le Québec veut se faire une place dans ce marché d’avenir.

« L’électricité peut faire beaucoup, mais ne peut pas tout faire », a résumé mardi la présidente-directrice générale d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, lors de l’inauguration du nouvel électrolyseur d’Air Liquide à Bécancour, qui fera doubler la capacité de production d’hydrogène au Québec.

La multinationale française fondée en 1902 fabrique de l’hydrogène depuis longtemps, mais ce n’est que récemment qu’elle a investi dans la production à grande échelle à partir d’énergies vertes, comme l’hydroélectricité et le gaz naturel renouvelable.

À Bécancour, Air Liquide a construit ce qui est actuellement le plus grand électrolyseur à échange de protons du monde.

Sa production de 8 tonnes par jour d’hydrogène sera écoulée sur le marché du nord-est du continent, a indiqué le grand patron de l’entreprise pour le Canada, Bertrand Masselot.

Air Liquide investit en même temps dans des installations de production beaucoup plus importantes (30 tonnes par jour) pour desservir le marché de la Californie et de la côte ouest des États-Unis.

Effervescence

Signe de l’effervescence qui s’est emparée du marché de ce côté-ci de l’Atlantique, les annonces se sont succédé récemment. Hydro-Québec a annoncé à la fin de 2020 la construction d’une usine de production d’hydrogène de 200 millions qui servira à alimenter la future usine de biocarburants d’Enerkem à Varennes.

Le gouvernement du Québec a annoncé l’injection de 15 millions dans le développement de la filière d’hydrogène verte pour les usages industriels et le transport lourd.

« C’est une première annonce, il y en aura d’autres », a indiqué mardi le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, qui annonce que la première stratégie québécoise de développement de l’hydrogène vert sera annoncée à l’automne.

L’Institut national de la recherche scientifique travaille sur une technologie qui permet de produire de l’hydrogène directement à partir de la lumière du soleil et cette avancée a fait l’objet d’une annonce la semaine dernière.

L’engouement pour les nouveaux usages de l’hydrogène est mondial et le Québec aimerait bien se tailler une place dans ce marché. Le peut-il ?

Absolument, répond le professeur Philippe Tanguy, directeur général de Polytechnique Montréal. « En utilisant notre hydroélectricité, on a la possibilité de faire de l’hydrogène complètement décarboné de façon de plus en plus compétitive. On a un avenir fabuleux au Québec comme producteur d’hydrogène et comme transformateur. On peut se reconstruire complètement une industrie de la chimie verte ».

De l’eau et de l’énergie

L’hydrogène a plusieurs vertus, dont une densité énergétique 2,4 fois supérieure à celle du gaz naturel et une grande capacité de stockage. Produire de l’hydrogène nécessite de l’énergie, beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, dans le monde, 80 % de l’hydrogène est produit avec du gaz naturel. La baisse du coût des énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, encourage la production d’hydrogène vert, comme le développement des technologies de production de gaz naturel renouvelable.

Le principal obstacle au déploiement de l’hydrogène vert dans ses nouveaux usages, notamment pour le transport, reste son coût de production plus élevé que celui de l’hydrogène produit avec du gaz naturel.

Actuellement, le coût de production se situe entre 5 et 8 $ le kilo dans le marché, a indiqué mardi le patron d’Air Liquide. « Mais on réussit à faire beaucoup mieux à Bécancour », a dit Bertrand Masselot, notamment grâce au prix très bas de l’électricité d’Hydro-Québec.

Pour son expansion à Bécancour, Air Liquide a profité du tarif habituel de la grande industrie (tarif L de 3,28 cents le kilowattheure), selon Hydro-Québec. Ce tarif de base a ensuite été réduit grâce à trois sortes de rabais, soit ceux du Tarif de développement économique (réduction de 20 %), du Tarif de relance industrielle et du Programme de rabais d’électricité du gouvernement du Québec. Hydro-Québec n’a pas voulu préciser le coût de revient de l’électricité pour Air Liquide, mais il est très bas, selon ces informations.

D’après Philippe Tanguy, le Québec pourrait produire à moyen terme de l’hydrogène vert à un coût d’environ 4 $ le kilo, ce qui se compare à 2,50 $ le kilo pour de l’hydrogène issu d’énergie fossile.

Il souligne que les installations qu’Hydro-Québec projette de construire à Varennes seront quatre fois plus importantes que celles d’Air Liquide. « D’ici une dizaine d’années, ça pourrait complètement changer la donne », dit-il.

Les nouveaux usages de l’hydrogène

Le transport individuel, auquel tout le monde pense quand il est question d’hydrogène, n’est pas un marché d’avenir pour l’hydrogène, estiment de plus en plus de spécialistes. « Parce que les distances parcourues pour le transport individuel sont courtes, les véhicules électriques à batteries sont mieux adaptés », explique Philippe Tanguy.

Pour les taxis, le transport lourd et les longues distances, c’est autre chose. « Mettre des batteries dans un camion, c’est très compliqué parce qu’on se retrouve à transporter des batteries », illustre-t-il.

Les transports par camion, train, autobus, navire et avion deviendront, à moyen terme, des utilisateurs d’hydrogène, prévoit le professeur.

La mobilité verte, qui a fait redécouvrir les vertus de l’hydrogène, sera éclipsée par les applications industrielles, selon lui. C’est le marché le plus intéressant pour l’hydrogène produit au Québec. « On doit se tourner vers les grands émetteurs de gaz à effet de serre, les aciéries, les alumineries, les cimenteries. »

Même si la demande pour l’hydrogène vert est en forte croissance en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne, l’exportation à partir du Québec n’apparaît pas comme une voie d’avenir, du moins à court terme. « L’hydrogène se transporte, mais pas si bien que ça, précise-t-il. C’est une molécule petite et délicate à manipuler. Le marché d’avenir, c’est peut-être de l’exporter sous une autre forme, transformé en méthanol ou en ammoniaque. »