Plus incités que jamais à « acheter local », les Québécois peinent à identifier les grands détaillants originaires de la province, révèle un nouveau sondage. La tâche de les repérer pourrait être facilitée par l’annonce, faite lundi, que le Panier bleu lancera à l’automne le site transactionnel que plusieurs auraient aimé voir dès le printemps dernier.

Ils s’appellent Couche-Tard, Aldo, Simons, BMR, La Vie en Rose, Reitmans. Toutes des chaînes nées au Québec il y a des décennies, avec un siège social et des propriétaires établis dans la province. Mais bien des Québécois peinent encore à dire s’il s’agit de détaillants locaux ou pas.

Les sondages le disent, les détaillants le répètent : les consommateurs veulent de plus en plus acheter local. Mais est-on capable d’identifier les commerces québécois ? Pour en avoir le cœur net, le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) et ORAMA Marketing ont soumis une liste de magasins à 1039 personnes.

Pour 36 chaînes — épiceries, pharmacies, quincailleries, mode —, les répondants devaient choisir leur provenance : Québec, Canada, États-Unis ou international. Du lot, sept ont été correctement identifiées par au moins 75 % des Québécois, révèle le sondage obtenu par La Presse.

Jean Coutu a obtenu le plus grand nombre de bonnes réponses. Parmi les consommateurs sondés au début de janvier, 82 % savaient que la chaîne de pharmacies est de propriété québécoise. En fait, elle appartient à l’épicier Metro, tout comme Super C, d’ailleurs.

L’enquête nous apprend aussi que 76 % des Québécois savent que Couche-Tard est une entreprise québécoise. Les autres croient que c’est canadien (11 %), américain (4 %) ou international (2 %). Certains ne savaient pas quoi répondre. Le sondage s’est terminé la veille de l’annonce par la chaîne de dépanneurs de sa volonté d’acheter l’épicier français Carrefour, faut-il préciser.

Le taux de bonnes réponses est-il élevé ou faible ? C’est difficile à dire, indique le directeur général du CQCD, Stéphane Drouin. Mais chose certaine, les résultats l’ont « un peu surpris, surtout dans le secteur de la mode ». Il s’attendait à ce que les Québécois soient plus nombreux à savoir que Simons, Aldo et Panda appartiennent à des entrepreneurs locaux, puisqu’ils existent depuis longtemps, dit-il en entrevue.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail

Un désavantage ou une stratégie ?

Simons est, de fait, la plus vieille entreprise familiale du Québec. Sa fondation remonte à 1840 et son président Peter Simons se prononce souvent dans les médias locaux. Mais seulement 49 % des personnes sondées ont su correctement déterminer sa provenance. Un peu plus de 10 % croient que c’est américain.

C’est un peu le même scénario du côté d’Aldo (47 %). Mais c’est peut-être voulu, c’est peut-être ça, la stratégie de l’entreprise, avance Debbie Zakaib. Un faible taux de connaissance de l’origine, croit-elle, « peut démontrer de très bonnes choses, que c’est une entreprise qui semble globale, internationale, qui réussit bien. Ça peut être un compliment pour la marque ».

Règle générale, la « nationalité » des principales chaînes de magasins de vêtements est connue par moins de 50 % de la population. Aubainerie fait bande à part (76 %).

À la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le président et chef de la direction Michel Leblanc rappelle que « le citoyen normal, souvent, ne connaît pas le nom des politiciens », car il ne retient que l’information qui le touche dans son quotidien. Ainsi, il n’est pas du tout surpris que l’actionnariat des entreprises soit quelque chose de méconnu.

« Si je suis une entreprise québécoise qui touche le consommateur, j’ai compris depuis très longtemps que c’est par les prix, la qualité de mes produits, la nouveauté de mes produits que je vais convaincre les acheteurs, beaucoup plus qu’en leur disant que je suis d’ici, que je crée des emplois et de la richesse ici », ajoute Michel Leblanc.

« On a peut-être manqué le bateau »

Le sondage du CQCD nous apprend aussi que dans le temps des Fêtes, 53 % des Québécois ont favorisé « beaucoup » ou « assez » les détaillants locaux, que ce soit en ligne ou en personne. À peu près la même proportion a privilégié les produits fabriqués au Québec.

Dans ce contexte, miser sur ses origines locales était sûrement une bonne idée, convient Stéphane Drouin.

On a peut-être manqué le bateau dans nos communications. Mais on peut se reprendre dans les prochains mois.

Stéphane Drouin

« Ça veut dire qu’on a l’occasion de raconter de belles histoires locales pendant que les Québécois ont le goût d’encourager des entreprises d’ici, qui créent des produits ici et embauchent des gens d’ici », croit aussi Debbie Zakaib.

Reste maintenant à voir la réaction des propriétaires de ces entreprises québécoises. Stéphane Drouin prédit qu’ils seront surpris par les résultats de son étude. Car s’ils étaient conscients de ce déficit de connaissances à leur égard, « ils auraient agi en conséquence » dans le contexte où l’achat local est sur toutes les lèvres.

« Il ne faut pas être gêné de s’identifier clairement comme une entreprise québécoise dans ses communications francophones » destinées au marché local « pour capitaliser sur les intentions d’achat », martèle Stéphane Drouin.