Radio-Canada prend comme exemples les émissions District 31 et Unité 9, qui ont surpassé les attentes, pour démontrer que la chaîne peut prendre plus de risques que ses concurrents privés

Pourquoi avoir un diffuseur public ? Pour produire des séries trop risquées pour les diffuseurs privés comme District 31 et Unité 9, plaide Radio-Canada.

Dans un aveu aussi étonnant qu’intéressant lundi devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), le vice-président principal de Radio-Canada, Michel Bissonnette, expliquait que Radio-Canada ne s’attendait jamais au succès monstre de District 31. Le diffuseur public croyait à la qualité de la série, mais pensait au départ qu’elle serait « plus ou moins populaire ». District 31 a attiré en moyenne 1,825 million de téléspectateurs par émission l’automne dernier, ce qui la place au deuxième rang des émissions régulières les plus regardées au petit écran québécois, tout juste derrière La voix à TVA (moyenne : 1,858 million).

« Quand on a commencé District 31, on se disait : un environnement dans un poste de police devrait être plus ou moins populaire, et après, notre phrase, c’était de se dire “on est jamais à l’abri d’un succès” parce que sincèrement, cette émission a connu des résultats qui étaient au-delà de nos attentes, dit Michel Bissonnette. C’est notre rôle de prendre des risques créatifs. C’est [aussi] facile aujourd’hui de dire qu’Unité 9 a été un grand succès. Mais sur papier, faire le choix d’avoir une série dramatique qui se passerait dans un lieu carcéral avec des femmes était risqué parce que c’était pas nécessairement ce qui, de prime abord, nous amène vers un succès. »

Si Michel Bissonnette a fait au CRTC la genèse de District 31 et d’Unité 9, c’est pour lui démontrer que Radio-Canada peut prendre plus de risques créatifs que ses concurrents privés. Au cours des trois prochaines semaines, le CRTC étudiera les conditions du renouvellement des licences télé et radio de Radio-Canada pour les cinq prochaines années. C’est la première fois depuis 2012 que l’organisme réglementaire examine les licences du diffuseur public.

« Dans l’entreprise privée, il y a un critère d’évaluation : est-ce qu’on fait de l’argent ? Et c’est très sain ainsi, dit Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada. Un diffuseur qui a uniquement des revenus publicitaires doit obligatoirement faire 1 million de cotes d’écoute [pour que l’émission soit rentable]. On a le privilège de faire des séries plus nichées, qui répondent à des clientèles différentes. »

Québecor/Groupe TVA, le principal concurrent de Radio-Canada, estime que la programmation de Radio-Canada est « trop axée sur le divertissement et se rapproche trop de celle des diffuseurs privés ». Il demande au CRTC d’y voir.

De son côté, Radio-Canada veut conserver la même latitude réglementaire pour remplir son mandat. « C’est très important d’offrir une vaste gamme de services. Si on a des limites dans notre programmation [avec des conditions de licences], ça voudrait dire : “Vous, faites seulement des documentaires et laissez les dramatiques [aux diffuseurs privés].” On tient vraiment à notre mandat », dit Catherine Tait, PDG de CBC/Radio-Canada.

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Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada

Comment Radio-Canada se distingue-t-elle des diffuseurs privés ? En information, elle ne diffuse pas d’émissions d’opinion, fait une place plus importante à l’information internationale et diffuse quatre émissions d’affaires publiques en heures de grande écoute. En divertissement, elle ne touche pas à la téléréalité ni au sport professionnel, et prend davantage de risques avec ses séries, selon Michel Bissonnette.

Le débat sur le mandat de Radio-Canada ne se terminera vraisemblablement pas avec l'attribution de nouvelles licences dans quelques mois par le CRTC. En parallèle, le gouvernement Trudeau a indiqué son intention de moderniser le mandat de Radio-Canada (il devra déposer un projet de loi pour le faire).

Ne pas « perdre une génération »

Devant le CRTC, Radio-Canada demande de réduire les obligations réglementaires de sa chaîne de télé généraliste ICI Télé afin d’offrir davantage de programmation sur ses plateformes numériques (ICI Tou.tv). Selon Radio-Canada, 25 % de son auditoire utilise uniquement les plateformes traditionnelles (télé et radio), 25 %, uniquement les plateformes numériques et 50 %, les deux types de plateforme.

« Si on ne veut pas perdre une génération, il est plus important que jamais de leur offrir une alternative francophone diversifiée et de qualité [sur les plateformes numériques], dit le vice-président principal de Radio-Canada. La barrière de la langue, qui a longtemps protégé le marché francophone, n’est plus un obstacle aujourd’hui. » M. Bissonnette fait valoir que « si un peu moins de la moitié des francophones sont abonnés à Netflix, ce taux monte à 80 % chez les 18-34 ans. »

Lundi, au premier jour des audiences virtuelles du CRTC, Radio-Canada a dû défendre son service payant numérique, l’Extra d’ICI Tou.tv. Plusieurs séries (ex. : C’est comme ça que je t’aime) y sont d’abord diffusées sur l’Extra avant d’être offertes plus tard sur les plateformes gratuites de Radio-Canada. Le diffuseur public fait valoir que l’Extra est l’équivalent d’une chaîne spécialisée dans l’environnement numérique.