C’est sur le plateau d’En direct de l’univers, le 31 décembre au soir, que Louis-Daniel Joly et son atelier de percussion Baratanga ont conclu leur étrange année 2020.

Sa métaphore est tout à fait appropriée pour un spécialiste de la percussion : la pandémie l’a frappé « comme un accident de voiture ».

Au grand boum ! a succédé un profond et inquiétant silence.

Mais, d’abord, présentations : Louis-Daniel Joly a été le premier diplômé du programme de percussions latines et populaires de l’UQAM en 1998.

Après quelques années de pige musicale, il a fondé Baratanga en 2008.

La petite entreprise avait la vocation d’offrir des spectacles, de l’animation et des ateliers de percussions, principalement en milieu scolaire.

Mauvais synchronisme : la même année, le krach a retenti.

« Ça m’a fait prendre conscience qu’il fallait que j’aie les outils pour passer à travers cette crise, et c’est là que je me suis inscrit à HEC au programme de diplôme d’études supérieures spécialisé en gestion d’organismes culturels », explique Louis-Daniel Joly.

Au rythme des crises

Les crises ont rythmé la croissance de Baratanga, oserait-on dire.

« J’appelle ça des occasions d’apprentissage plus que des crises », martèle le percussionniste.

La suivante s’est présentée en 2015, avec le boycottage des activités parascolaires par les enseignants en négociation. Il en a tiré la juste leçon qu’il valait mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le panier scolaire, qui lui procurait alors près de 80 % de ses revenus.

« À partir de là, on a développé le corporatif, le municipal, les formations à l’international, l’écriture de manuels de percussion… »

Comme il se doit, il a mené son entreprise tambour battant jusqu’en 2019 – une année record.

Baratanga a alors atteint un rythme de 400 productions par année. En fin d’année scolaire, elle donnait chaque semaine jusqu’à 30 spectacles ou ateliers dans les écoles.

PHOTO FOURNIE PAR BARATANGA

Louis-Daniel Joly dans un joyeux atelier de percussions en milieu scolaire

L’entreprise emploie normalement 55 artistes pigistes, mais ne compte que trois employés permanents, dont sa directrice de production Karen Gautier. « Je suis le conducteur, mais elle peut être considérée comme le moteur », décrit l’entrepreneur, reprenant sa métaphore automobile.

Sa conjointe Anne Desrochers apporte son concours pour les questions financières.

L’entrepreneur escomptait une croissance de 20 % en 2020.

L’impact

Lorsque sa troisième crise a frappé, en mars, le percussionniste a fait le choix contre nature de mettre son entreprise en sourdine. C’est plutôt le gestionnaire en lui qui s’est fait entendre.

« Mon premier réflexe a été de couper les coûts fixes au minimum, indique-t-il. Je me suis dit : “Il faut qu’on arrête tout maintenant. Il ne faut pas qu’on attende dans six mois.” »

Une fois le beau temps revenu, « quand j’ai vu qu’il y avait possibilité de présenter des choses à l’extérieur, j’ai conçu des ateliers et des spectacles qui respectaient les mesures sanitaires de A à Z », poursuit-il.

Il en a donné plus de 160, la plupart du temps en solo.

« Normalement, j’aurais eu un ou deux employés avec moi, mais mon but, c’était de mettre de l’essence dans le réservoir. »

Pas de spectacle en ligne ou de succédané numérique.

« Pour moi, il s’agissait de fermer les écoutilles du bateau pour se préparer à la tempête », exprime-t-il en optant cette fois pour une métaphore maritime. « Là, c’est le prof qui vient de parler ! », rigole-t-il.

En réduisant les dépenses au minimum, ses frais fixes ont été divisés par dix.

Heureusement, l’entreprise bien gérée n’avait aucune dette et avait même engrangé d’abondantes liquidités destinées à la production de nouveaux spectacles.

« Ce sont ces liquidités qui nous ont permis d’être encore là aujourd’hui », assure-t-il.

L’automne

Avec la rentrée d’automne, ses activités en milieu scolaire auraient pu reprendre, mais il a refusé les demandes qui lui ont été présentées, se jugeant incapable d’assurer la distanciation de deux mètres durant ses ateliers.

Honorant la maxime que lui répétait son père – « Quand tu fais bien les choses et dans le respect des normes et règlements, tu dors tellement mieux la nuit ! » –, il n’a accepté que les contrats « qui étaient sécuritaires pour tout le monde ».

C’était le cas des activités extérieures et des défilés organisés par quelques municipalités, pour l’Halloween, par exemple.

De petites bulles de bonheur…

« Ce que l’on voyait dans les yeux, c’était à quel point les gens étaient heureux de voir de l’art vivant, pas un écran, mais voir des artistes performer devant eux. »

La fin de l’année

Surprise de fin d’année, l’équipe de production de l’émission En direct de l’univers l’a contacté pour sa spéciale du 31 décembre.

« Au début, ils m’avaient approché pour les aider à trouver de l’équipement ou louer le nôtre. »

Au fil des discussions, son rôle s’est accru jusqu’à une participation musicale et la coordination de groupes de percussionnistes amateurs.

PHOTO ÉRIC MYRE, FOURNIE PAR BARATANGA

Au centre du trio de percussionnistes, Louis-Daniel Joly tient le rythme sur un des tambours lumineux de Baratanga, durant la spéclale du 31 décembre d’En direct de l’univers.

Pour commémorer les victimes des tueries de 2020, pour raccommoder le tissu interculturel déchiré par la mort tragique de Joyce Echaquan, un ambitieux numéro synchronisé ferait intervenir des jeux de percussions depuis la Nouvelle-Écosse, Québec et Manawan.

Avec Karen Gautier, il s’est rendu dans la capitale pour diriger le rythme et les mouvements des élèves du Studio Percussions du monde.

Le segment a été préenregistré sur la terrasse Dufferin. Ce fut déjà un premier moment d’émotion que « de les voir s’émerveiller et se retrouver, alors qu’ils n’avaient pas pu jouer de la percussion ensemble depuis des mois ».

Sur le plateau montréalais, quand Kim Thúy a appelé le Québec à une marche commune au même pas cadencé, quand Elisapie a entamé un chant accompagnée par le conjoint de Joyce Echaquan, Louis-Daniel Joly était là, au centre d’un trio de musiciens qui tenaient le tempo sur de grands barils translucides éclairés de l’intérieur. Les tambours de Manawan, de Québec et de Nouvelle-Écosse s’y sont conjugués, « pour démontrer que la lumière et la percussion pouvaient aider à traverser ça ».

C’est là aussi la mission de Baratanga, croit-il.

Car il voit des vertus thérapeutiques, consolatrices, rassembleuses aux activités de percussions. « C’est la fête à tout coup, dit-il. Tout le monde peut s’impliquer, peut taper dans ses mains. »

Il a fait des ateliers avec des enfants autistes, auprès de personnes âgées, en milieu hospitalier. « Partout, ça fonctionne. »

Le reconfinement et le couvre-feu du début de la nouvelle année n’ont entamé ni son optimisme ni sa résolution.

« Vu qu’on n’a pas de spectacles ou de productions comme tels, ça nous permet de préparer la suite. Parce qu’il va y avoir une très belle suite. Les gens vont tellement avoir envie de voir des spectacles, de la musique, de la culture, du monde, qu’on est certains que 2021-2022, ça va être la folie ! »

On bat déjà des mains.