Avez-vous l’impression que les enfants de 0 à 17 ans ont reçu plus de cadeaux et des produits plus chers qu’à votre époque ? Avis d’experts et magasinage dans les catalogues du passé.

Est-ce que Barbie coûte plus cher ?

Pour avoir une idée de la valeur des cadeaux à travers les décennies, La Presse a comparé les prix de cadeaux classiques à partir de catalogues et de circulaires Eaton, Distribution aux consommateurs, Sears, Walmart, La Baie et des éditions spéciales jeux et jouets du magazine Protégez-vous des 40 dernières années.

« Le prix de la Barbie n’a pas beaucoup changé depuis 1998, constate Danielle Charbonneau, qui a été spécialiste des jeux et jouets pour le magazine Protégez-vous pendant 20 ans. Mais une fois que tu as la poupée, tu es accroché et tu veux les autres produits qui vont avec la Barbie. Et c’est quand tu achètes la maison, l’auto et le campeur que les entreprises font de l’argent. Il y a eu d’ailleurs une augmentation fulgurante de l’offre de l’environnement de Barbie au cours des années. »

« Le prix du Monopoly n’a pas beaucoup bougé, observe Laurent Côté, acheteur chez Club jouets depuis 20 ans. Par contre, avant, il n’y avait qu’un seul Monopoly. Maintenant l’offre change régulièrement. Chaque film qui sort a son Monopoly, et ils ne coûtent pas le même prix. »

Les deux experts soulignent aussi que la popularité des jeux de société est en hausse au Québec. En plus de les mettre sous le sapin, les petits formats sont offerts aux hôtes à la place d’une bouteille de vin, par exemple.

Avec ses 25 ans d’expertise dans le domaine, Laurent Côté peut affirmer sans hésitation que 2021 est une année où les jouets dits classiques se sont le plus vendus. « Poupée, Barbie, Lego, jeux de société, Pat’Patrouille, Pokémon, énumère-t-il. Le Lego demeure numéro 1, c’est la compagnie la plus demandée. »

En consultant les catalogues des années 1970 et 1980, on remarque avec surprise que les prix des Lego y sont à peu près les mêmes qu’en 2021. Ce qui en faisait donc un produit cher pour l’époque. « Les prix n’ont pas changé, mais les boîtes ont rapetissé, précise Laurent Côté. C’est le même phénomène de réduflation qu’en alimentation. »

« Aujourd’hui, dès que tu achètes les produits dérivés Lego, comme Dora et Pat’Patrouille, il y a moins de pièces comparativement au produit régulier », renchérit Danielle Charbonneau, qui note au passage que l’offre de cadeaux de Noël en général a explosé depuis que les films produisent encore plus de produits dérivés et dans toutes les gammes de prix.

Si le prix des jeux de société s’est mis à grimper il y a quelques années, la forte concurrence a changé la donne. « Un jeu où tu accumules les objets, par exemple, il y en a beaucoup. Une entreprise qui sort un nouveau jeu de ce type ne peut pas le vendre à 80 $ si les autres le vendent 50 $. »

Plus de cadeaux plus chers

L’orange n’est plus considérée comme un cadeau depuis déjà belle lurette. « En 2021, on ose demander un cellulaire et on l’aura, affirme la sociologue et professeure émérite à l’Université d’Ottawa Diane Pacom. Les enfants ne se contentent plus de cadeaux sans valeur qui faisaient plaisir aux enfants des années 1950. »

Les enfants sont entrés dans le cycle de la consommation comme tous les autres groupes sociaux, explique au téléphone la sociologue. « À partir d’un très jeune âge, ils connaissent la valeur des marchandises », souligne-t-elle.

Voici quelques pistes qui expliquent cette inflation…

Par texto à papi et mamie

« Avant, c’était les parents qui venaient acheter les cadeaux des enfants. Maintenant, on voit les grands-parents arriver dans les magasins avec les idées que leurs petits-enfants leur ont envoyées par texto », constate de son côté Laurent Côté, acheteur depuis 20 ans chez Club jouets.

Les grands-parents baby-boomers ont nettement plus d’argent que leurs parents nés pendant ou avant la guerre. Ils ont eu aussi moins d’enfants. Le budget cadeau a enflé et les cadeaux se sont multipliés.

« Il y a beaucoup de séparations, de divorces, de familles recomposées et les enfants ont plusieurs duos de grands-parents, d’oncles et de tantes qui leur offrent des cadeaux », note Danielle Charbonneau, qui a été spécialiste des jeux et jouets pour le magazine Protégez-vous pendant 20 ans.

« À cause des divorces, des mères qui travaillent et d’autres phénomènes sociaux, les parents n’ont jamais été aussi culpabilisés par rapport aux enfants. Ils compensent en donnant aux enfants des objets qui, sur le plan économique, sont dans une catégorie presque du luxe », renchérit la sociologue Diane Pacom.

La surenchère par les réseaux sociaux

Bien qu’il y ait toujours eu des parents plus en moyens, qui offraient des équipements de ski alpin et des jeux électroniques coûteux, le cercle à qui les enfants pouvaient s’en vanter était restreint. « Il y a 30 ans, on appelait sa copine au téléphone ou on retrouvait les voisins sur un banc de neige et à la patinoire pour discuter des cadeaux reçus », relève Danielle Charbonneau. Or, de nos jours, les jeunes affichent ce qu’ils ont reçu sur les réseaux sociaux. « Tout le monde sait ce que tout le monde achète sur les réseaux. Ce qui crée inévitablement une surenchère, explique-t-elle, du genre : ‟Moi, j’ai reçu un vélo électrique pour Noël et toi, tu as reçu quoi ? » »

De l’orange aux consoles… aux cellulaires

Dans la liste de souhaits des enfants et des adolescents, cellulaires et tablettes ont dorénavant remplacé les consoles de jeux vidéo. « Ce sont plus les jeunes adultes qui attendent les nouvelles consoles, note Laurent Côté, de Club jouets. Les enfants et les adolescents vont regarder TikTok, jouer à Roblox et jouer à des jeux vidéo sur leur cellulaire beaucoup plus que sur une console de jeux vidéo. »

« Les tablettes sont comme les crayons et les effaces pour les enfants, car ils les utilisent à l’école », renchérit Danielle Charbonneau.

D’apprenti menuisier à….

« Le jouet et le jeu ont toujours été des agents qui préparent l’enfant à devenir l’adulte que sa société lui demandera d’être », rappelle Diane Pacom.

Alors qu’on offrait des poupées qui préparaient les fillettes à leur futur rôle de mère et des outils en plastique aux apprentis menuisiers, on prépare aujourd’hui les enfants à devenir des citoyens de la société virtuelle, analyse la sociologue.

« Le cellulaire est devenu un objet qui est le prolongement de l’humain, explique-t-elle. Les enfants ne vivent pas à l’écart de ce monde virtuel qui est en train de conquérir la planète, c’est leur monde, ce qui fait qu’ils sont attirés vers l’écran plus que par les autres jouets », conclut-elle.