Alors que de plus en plus de gestionnaires et de dirigeants s’avouent épuisés par le stress et l’anxiété générés par la pandémie, le retour « recommandé » en télétravail à cause du variant Omicron en décourage plus d’un.

Dominic Tremblay ne cache pas sa fatigue. Le président de l’agence de publicité et marketing Tux Creative Co. avoue être étonné de la rapidité avec laquelle évolue la situation sanitaire et du côté empressé des recommandations gouvernementales. « On est en gestion de surprises ! lance-t-il. Il me semble que pour les autres vagues, on en parlait longtemps d’avance. Là, c’est paf ! C’était trop mercredi. »

Quelques minutes après l’annonce des nouvelles recommandations du ministre de la Santé, Christian Dubé, le dirigeant a informé ses 75 employés qu’ils retournaient tous en télétravail. « Je n’ai pas niaisé avec ça, dit-il. On va faire notre part correctement. Les gens ont des ordinateurs portables. On a annulé des rencontres clients et des ateliers. Mais partir de façon aussi précipitée a fait mal. La vie reprenait. Je ne veux pas me comparer au milieu de la santé, mais c’est dur. La déception est très grande. »

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Dominic Tremblay, président de l’Agence de publicité et marketing Tux Creative Co.

Car un dirigeant absorbe le stress et l’anxiété de tous, souligne Dominic Tremblay. « Mais toi, qui t’aide ? demande-t-il. On a une équipe de direction et on s’appuie là-dedans… mais depuis presque deux ans. C’est une autre jambette. Déjà qu’à la fin de l’année, on termine toujours sur les genoux. »

C’est décourageant, car certains avaient amorcé leur retour en hybride et s’ajustaient, constate Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Il y avait un mouvement certain depuis septembre. Ce qui décourage est cette impression qu’il n’y a pas de fin.

Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Déjà en juillet dernier, un sondage de Solutions Mieux-être LifeWorks et Deloitte Canada avait révélé que près du quart des cadres supérieurs envisageaient de démissionner, 16 %, de lorgner un poste moins exigeant, et 15 %, de prendre leur retraite, à cause du stress, de l’anxiété et de la surcharge de travail liés à la crise sanitaire. D’autres rêvaient d’un long congé ou d’un travail à temps partiel.

« Je n’ai jamais vécu une telle chose, dit Dominic Tremblay. C’est le summum en 20 ans de gestion. Je fais partie d’un groupe d’entrepreneurs. On se rencontre tous les mois, car une vie d’entrepreneur, c’est dur. Ça m’aide beaucoup. Le fait aussi d’avoir un conjoint qui dirige avec moi. On se donne un coup de main. »

Le président parle de tempête parfaite. « On manque de personnel, rappelle-t-il. On cherche des gens et ça se rajoute. Ce sont des stress de trop quand on est un gestionnaire. Les gens n’ont plus la capacité d’encaisser les coups. »

« C’est effectivement beaucoup d’énergie investie sur le retour, ajoute Manon Poirier. Le télétravail est apprécié, mais il y a quelque chose de restrictif. C’est dur pour les gens des ressources humaines qui ont planifié un retour au bureau. Certaines organisations, qui s’étaient commises sur une date de retour, n’osent même plus en mettre. »

L’espoir chez les employés pourrait se tarir à la longue, note Marie-Hélène Jetté, avocate associée, responsable du groupe droit du travail et de l’emploi de Langlois Avocats. « On sentait que c’était important de recommencer à se voir pour conserver la culture d’entreprise et pour la mobilisation des troupes », dit-elle.

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Marie-Hélène Jetté, avocate associée, responsable du groupe droit du travail et de l’emploi de Langlois Avocats

Pas une obligation

Au fait, quand le ministre de la Santé « recommande » que les employés repartent en télétravail, est-ce une obligation ? « Non, répond MJetté. Les termes du ministre Christian Dubé sont : “On recommande de favoriser.” Après, il a parlé du port du masque obligatoire dans les résidences pour personnes âgées. Mais quand le ministre de la Santé recommande et que tu ne le fais pas, tu dois avoir une bonne raison. Par contre, ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont capables de se revirer sur un 10 cents. »

Les fonctionnaires ont toutefois l’obligation de travailler de la maison. « La plupart des organisations vont suivre la recommandation, car l’incertitude autour du variant Omicron fait qu’elles veulent être prudentes », estime Manon Poirier.

Les clients qui ont rapidement appelé les avocats de Langlois prouvent les dires de la directrice générale de l’Ordre. « Des entreprises ont vite ralenti, observe Marie-Hélène Jetté. On nous pose aussi des questions sur les partys de bureau. Devrais-je le faire ? Cette annonce devrait amener les employeurs à se questionner sur leurs rassemblements. Même nous, on a annulé notre souper à 25 dans un resto. Comme le virus se propage rapidement, avoir à faire une quarantaine sous-entend de manquer les fêtes de Noël. »