Le gestionnaire d’actifs montréalais Letko Brosseau revient à la charge contre le projet de vente du fonds de placement immobilier Cominar en dénonçant cette fois les fondements mêmes de la transaction.

Selon un document obtenu par La Presse, l’investisseur institutionnel possédant une participation de 3,3 % dans Cominar doit expliquer ce vendredi pourquoi « toutes » les raisons évoquées par Cominar sont contestables.

Cominar a révélé le 24 octobre une entente avec un consortium mené par Canderel entourant sa vente au prix unitaire de 11,75 $ la part, une transaction évaluée à 5,7 milliards en incluant la dette.

Dans le cadre de cette opération, le consortium doit revendre des immeubles commerciaux et de bureaux au Groupe Mach et quelque 190 immeubles industriels à la firme américaine d’investissement Blackstone.

« Le moment paraît mal choisi pour faire cette proposition puisque Cominar émerge à peine de la pandémie qui a entraîné de longues fermetures des centres commerciaux et des bureaux en 2020 et en 2021. Le titre de Cominar a beaucoup baissé par rapport à son niveau d’avant la pandémie et n’a pas encore récupéré tout le terrain perdu », lit-on dans le document obtenu par La Presse.

« Actuellement, les conditions d’exploitation sont très encourageantes. Les investissements dans l’immobilier commercial continuent de prendre de l’élan, avec un niveau d’investissement accru et un intérêt grandissant des promoteurs à l’affût de sites bien situés. Les prêteurs canadiens continuent d’offrir une abondante liquidité au marché immobilier. On note une demande sans précédent pour les immeubles industriels, comme ceux que possède Cominar », est-il précisé.

« Vu la poursuite de la reprise économique, les possibilités considérables de promotion immobilière et le rendement remarquable des immeubles industriels, Cominar est bien placée pour continuer d’accroître ses revenus, optimiser son portefeuille et renforcer son bilan. Une équipe dirigeante compétente et diligente devrait être en mesure de procurer aux actionnaires une valeur nettement supérieure à l’offre qui leur est faite. Notre préférence est que Cominar demeure en Bourse. »

Désaccord sur plusieurs points

Le document affiche le désaccord de Letko Brosseau sur plusieurs points formulés par Cominar dans sa circulaire d’information publiée la semaine dernière.

« La circulaire affirme que la structure de fiducie de placement immobilier (FPI) ouverte n’est pas optimale pour Cominar et que les FPI diversifiées se négocient à escompte sur les marchés. Nous croyons que les FPI procurent une structure liquide et fiscalement avantageuse aux investisseurs qui désirent s’exposer au secteur immobilier. La proposition actuelle vise à fermer le capital de Cominar et à vendre ses actifs, le prix offert ne devrait pas refléter un tel escompte », est-il indiqué.

« La circulaire affirme que la structure du capital de Cominar se caractérise par un endettement élevé et une liquidité limitée alors que l’endettement de 55 % et le ratio dette/BAIIA de 10,5 de Cominar se situent dans l’éventail de ceux des sociétés comparables. La liquidité est suffisante avec un ratio de couverture des intérêts de 2,5, des liquidités et des facilités de crédit non utilisées de 341 millions et des actifs non grevés de 1,7 milliard », est-il ajouté.

« La circulaire affirme que Cominar devra consentir des investissements en immobilisations considérables pour poursuivre sa croissance dans les segments des bureaux et du commerce de détail alors que Cominar a relevé des possibilités d’intensification, y compris un potentiel de près de 10 000 unités résidentielles sur ses propriétés actuelles. Une valeur peut être tirée de la vente d’une combinaison de droits aériens, de partenariats et de projets immobiliers autonomes. Environ le tiers des immeubles de Cominar sont situés à proximité de nouveaux projets de transport en commun comme le REM et le tramway. Cominar devrait bénéficier directement de ces importants projets d’infrastructures. »

On affirme aussi dans le document que l’opinion indépendante sur l’évaluation et le caractère équitable produite par Valeurs mobilières Desjardins comporte des hypothèses déraisonnables, y compris des taux de capitalisation punitifs, comprend des opérations « comparables » remontant à 2006 et applique un escompte de l’ordre de 20 à 30 % à la valeur liquidative déclarée de Cominar tout en montrant des opérations « comparables » conclues à une prime moyenne de 18 %.

Letko Brosseau soutient également que les détenteurs de parts ne disposent pas de tous les renseignements nécessaires pour évaluer pleinement l’offre qui leur est faite. « Malgré des demandes des actionnaires et des analystes, la société n’a divulgué ni le prix auquel Blackstone acquerra les immeubles industriels de Cominar, ni le prix auquel le consortium acheteur acquerra sa part des actifs. »

Indemnité de départ

Letko Brosseau souligne par ailleurs que, selon ses calculs, si la proposition est adoptée, le chef de la direction de Cominar touchera 11,6 millions, y compris une indemnité de départ de 5,2 millions.

Le 10 novembre, Letko Brosseau avait dénoncé publiquement pour la première fois l’arrangement en soulignant notamment des pratiques de gouvernance « déficientes » chez Cominar.

Appelée à réagir, la direction de Cominar indique par courriel que l’arrangement est « l’aboutissement d’un processus d’examen stratégique exhaustif et approfondi poursuivi avec diligence pendant 13 mois. Cominar a examiné un vaste ensemble d’alternatives, y compris – le statu quo ; la vente d’actifs choisis dans le but d’améliorer le statu quo ; des alternatives structurelles visant à dégager de la valeur des catégories d’actifs ; et une opération de vente en bloc. L’Arrangement auquel aboutit le processus d’examen stratégique est l’issue la plus favorable pour le FPI, ses porteurs de parts et autres parties prenantes ».

Cominar a essuyé plusieurs critiques dans les dernières semaines et La Presse a révélé qu’au moins deux groupes tentaient de mettre en place des offres concurrentes avant l’assemblée extraordinaire des détenteurs de parts prévue le 21 décembre.

Le processus d’examen stratégique avait notamment été lancé en raison de difficultés financières chez Cominar et alors que la pandémie entraînait une incertitude supplémentaire entourant les activités.

Durant le processus d’examen, les conseillers de Cominar ont pressenti officiellement 33 parties (dont 25 investisseurs financiers et 8 investisseurs stratégiques) potentiellement intéressées par la totalité ou des parties de l’entreprise. Sept investisseurs financiers et trois investisseurs stratégiques ont signé des ententes de confidentialité permettant d’effectuer une vérification diligente.

Cominar possède 310 immeubles industriels, commerciaux et de bureaux au Québec et en Ontario.