La décision du gouvernement américain de puiser dans les réserves stratégiques du pays a pour but de faire baisser les prix à la pompe aux États-Unis à l’approche des vacances des Fêtes. Le geste contrevient cependant à la règle qui a conduit les pays riches à se doter de telles réserves et aura probablement peu d’impact sur les prix de l’essence.

C’est après le choc de la crise du pétrole, au début des années 1970, que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a été créée avec la mission de prévenir d’autres traumatismes du même genre dans les pays industrialisés. Les pays membres de l’AIE, dont le siège social est à Paris, ont l’obligation de maintenir des réserves équivalant à 90 jours d’importation de pétrole, soit directement, comme les États-Unis avec leur réserve stratégique, soit indirectement en obligeant les entreprises à en stocker.

Tous les pays membres de l’AIE ont donc de telles réserves, à l’exception de ceux qui produisent du pétrole, même s’ils dépendent aussi des importations pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, le Canada, la Norvège et le Mexique n’ont pas l’obligation de maintenir des réserves.

Le rôle de ces réserves a été établi clairement dès le départ. Elles doivent servir à prévenir les perturbations importantes de l’approvisionnement en pétrole, causées par des crises géopolitiques ou des évènements climatiques extrêmes. Les réserves ne doivent pas être un moyen d’influencer les prix, a statué l’AIE.

Il s’agit d’une mesure d’urgence. Depuis la création de l’Agence internationale de l’énergie en 1974, il y a eu seulement trois évènements qui ont conduit à une action concertée des pays membres pour piger dans leurs réserves de pétrole : la guerre du Golfe en 1991, les ouragans Katrina et Rita en 2005 et la guerre civile en Libye en 2011.

Une goutte dans l’océan

Les États restent libres de se servir de leurs réserves comme bon leur semble pour prévenir des crises sur leur territoire, mais ils le font rarement. En tout cas, pas quand l’offre de pétrole est suffisante et qu’il n’y a pas de perturbations en vue de ce côté.

En fait, c’est arrivé une seule fois dans l’histoire, sous l’administration Clinton, qui voulait prévenir une augmentation trop rapide des coûts de chauffage. C’était en 2000.

PHOTO SUSAN WALSH, ASSOCIATED PRESS

Le président Joe Biden

La décision du président Biden, la semaine dernière, de recourir à la réserve n’est pas justifiée par une crise ou un désastre avéré ou présumé. Les États-Unis sont devenus presque autosuffisants en pétrole et le prix actuel est moins élevé qu’en 2011, quand il avait franchi le cap des 100 $ US le baril.

Les États-Unis ont convaincu la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, l’Inde et la Corée de se servir de leurs réserves pour augmenter l’offre et faire baisser le prix. Cette action concertée, du jamais-vu dans un tel contexte, serait une façon de faire pression sur les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui tardent à augmenter leur production réduite pendant la pandémie. Cette offre limitée contribue à la hausse des prix et pourrait compromettre la fragile reprise post-pandémique dans le monde, a fait valoir la Maison-Blanche.

Même en se mettant ensemble, les pays qui vont libérer du pétrole de leurs réserves n’auront probablement que peu d’impact sur le marché. Les États-Unis, qui ont de loin la réserve de pétrole la plus importante, se sont engagés pour 50 millions de barils. La contribution des autres pays reste inconnue, mais elle sera très inférieure à celle des États-Unis. Il est question de 5 millions de barils pour le Japon, selon le Japan Times, et d’une quantité du même ordre pour l’Inde.

Rien qui soit de nature à faire peur à l’OPEP, qui se réunit cette semaine pour s’entendre sur un niveau de production. Et rien non plus qui soit de nature à faire baisser les prix de façon importante, étant donné que la consommation mondiale de pétrole se rapproche de son niveau prépandémie de 100 millions de barils par jour, et qu’elle continuera d’augmenter, selon les prévisions de l’AIE.

La semaine dernière, l’Association canadienne des producteurs de pétrole n’a pas pu s’empêcher de souligner sur les réseaux sociaux que pour faire baisser le prix du pétrole, les États-Unis auraient dû dire oui au pipeline Keystone XL, qui aurait pu leur en envoyer 500 000 barils par jour, plutôt que de piger 50 millions de barils dans leurs réserves…

Ce qui pourrait faire baisser le prix du pétrole, c’est plutôt l’apparition du variant baptisé Omicron qui commence à faire trembler la planète.

Si elle n’a pas beaucoup d’impact sur le marché, la décision américaine pourrait tout de même améliorer la cote de popularité du président Biden, qui en a bien besoin à l’approche des élections de mi-mandat. Ce n’était pas prévu par l’Agence internationale de l’énergie, mais les réserves stratégiques de pétrole peuvent aussi servir à se faire réélire.