Un bras de fer qui perdure depuis des années entre la multinationale québécoise CAE et Ottawa se transporte devant la Cour d’appel fédérale. Il risque d’être suivi de près en raison des répercussions qu’il pourrait avoir, estiment des spécialistes du droit fiscal.

« Je peux déjà vous dire que cette décision va être l’une des plus attendues en fiscalité, affirme le professeur de droit fiscal à l’Université Laval Khashayar Haghgouyan. Les entreprises privées autant que les autorités fiscales comme Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada vont suivre cela. »

Le spécialiste des simulateurs de vol et de la formation de pilotes contestait, depuis 2016, une facture fiscale d’au moins 12 millions.

Ce différend concerne essentiellement le moment où l’entreprise établie dans l’arrondissement de Saint-Laurent pouvait déduire l’argent reçu du gouvernement fédéral pour l’aider à réaliser de la recherche et développement (R et D).

On trouvait également des crédits d’impôt à l’investissement parmi les points en litige.

« La Cour d’appel fédérale sera le plus haut tribunal spécialisé en fiscalité qui rendra une décision, explique M. Haghgouyan. Cela risque de faire jurisprudence. Bien sûr, il y a la Cour suprême du Canada, mais cela n’est pas gagné. On a moins de 10 % de chances d’être entendu. »

Longue dispute, récent revers

La Cour canadienne de l’impôt avait conclu, en septembre dernier, que les sommes obtenues par CAE en 2012 et 2013 – les années au cœur de la dispute – constituaient une forme de soutien gouvernemental et qu’elles ne pouvaient être déduites immédiatement. L’entreprise désirait déduire l’aide dès son versement plutôt qu’au moment où elle la rembourserait, des années plus tard.

CAE a décidé de porter en appel la décision du juge Sylvain Ouimet en présentant une série de 13 motifs. Essentiellement, l’entreprise estime que la Cour canadienne de l’impôt a erré en concluant que le capital du prêt qui lui avait été consenti constituait de l’« aide gouvernementale ».

C’est l’interprétation de l’aide gouvernementale. Le concept de l’aide dans les crédits de R et D. Ici, est-ce que le prêt viendrait diminuer l’incitatif auquel, en vertu de la loi canadienne, CAE a droit.

Khashayar Haghgouyan, professeur de droit fiscal à l’Université Laval

Celui-ci ne s’est pas prononcé sur les motifs soulevés par CAE dans sa demande en expliquant que les arguments seront présentés dans des mémoires. Il sera plus facile de les analyser à cette étape du processus.

Une entreprise peut déduire ses dépenses en R et D, selon le cadre en vigueur, ce qui lui permet de réduire sa facture fiscale au moment où elle fait ces dépenses. Par contre, le soutien gouvernemental ne peut être déduit.

CAE désirait notamment déduire 82 millions obtenus d’Ottawa entre 2012 et 2013 en vertu du projet Falcon – une mesure annoncée en 2009 et destinée à transposer des technologies existantes à d’autres secteurs de l’aéronautique.

Le gouvernement fédéral avait contribué par le truchement d’un versement de 250 millions qui sera remboursé progressivement d’ici 2029.

« Ce que veut CAE, c’est de prendre tout de suite la déduction de la dépense, alors qu’en réalité, elle y aurait droit plus tard, souligne le professeur de droit fiscal à l’Université Laval André Lareau. L’entreprise tente de devancer ce moment. »

Ce dernier croit également que le dossier risque d’être « utilisé » dans d’autres dossiers où des « subventions partielles » ont été accordées par l’État.

Dans cette affaire, CAE avait bénéficié d’une ordonnance complète de confidentialité sur tous les documents pendant un peu moins de deux ans, un fait rarissime.

La première raison concernait la protection de secrets commerciaux. L’autre était attribuable à l’entente entre le gouvernement fédéral et la multinationale à propos du projet Falcon, entente qui comporte elle-même une clause de confidentialité.

Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse