Pourquoi Air Canada aurait planifié la déconfiture d’Aveos alors qu’elle en était actionnaire après avoir participé à sa restructuration en 2010 ? Selon le transporteur aérien, il n’existe aucune preuve du « soi-disant » complot évoqué par les avocats des ex-salariés du spécialiste de la maintenance.

« C’est une proposition assez extraordinaire qui, selon nous, mérite une preuve extraordinaire, a estimé Patrick Girard, un des avocats d’Air Canada, mercredi, devant la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. Or, non seulement vous n’avez pas la preuve extraordinaire, mais vous n’avez aucune preuve de ce soi-disant complot. »

Après la poursuite la veille, c’était au tour de la défense d’exposer sa version des faits lors des plaidoiries du procès de l’action collective d’au moins 150 millions intentée par les anciens travailleurs d’Aveos contre le plus important transporteur aérien au pays – qui en est à sa quatrième semaine d’audiences.

La poursuite voulait mettre en lumière le rôle joué par Air Canada qui, à son avis, a pu économiser au moins 600 millions dans les quatre années suivant la disparition d’Aveos.

Dans sa plaidoirie, Me Girard a répliqué aux plaignants, qui allèguent qu’Air Canada aurait préparé l’écrasement de son fournisseur en lui retirant du travail, en retardant le paiement de factures et en cherchant de nouveaux fournisseurs.

« Il n’y a pas un témoin qui vous a dit qu’Air Canada avait un tel plan pour provoquer sciemment la fermeture d’Aveos », a lancé Me Girard à la juge Hivon.

Me Girard estime aussi que le recours est irrecevable. Il été intenté en 2016, après le délai de prescription, qui doit être calculé depuis le 18 mars 2012, date à laquelle Aveos a cessé ses activités, affirme la défense.

De plus, des quittances signées par les travailleurs transférés chez Aveos dans les années 2000 rendent irrecevable la réclamation en dommages, d’après Air Canada. Cela s’ajoute aux indemnités de 55 millions déjà versées aux ex-salariés après 2012.

Plusieurs aménagements

Ancienne filiale d’Air Canada devenue une entité indépendante au terme d’un transfert d’employés qui s’est terminé en 2011, l’entreprise générait plus de 90 % de ses revenus auprès de la compagnie aérienne.

Aux prises avec des problèmes financiers, et lourdement endettée en 2010, Aveos se restructure. D’après Me Girard, le transporteur aérien a offert des concessions « de près de 100 millions » pour épauler son fournisseur en échange d’une participation de 17,5 %.

L’entreprise acceptait notamment d’allonger jusqu’à 50 millions sur trois ans pour aider Aveos à éponger les pertes subies dans l’entretien des cellules d’avion – des activités déficitaires pour la société de maintenance.

« Air Canada avait près de 20 % des actions d’Aveos, a rappelé Me Girard. Si elle détruit Aveos, elle détruit sa propre participation financière dans l’entreprise, acquise quelques années auparavant [pour environ 850 millions US]. Pourquoi aurait-elle voulu la démolir ? »

En 2007, Kohlberg Kravis Roberts avait acquis, aux côtés de Sageview Capital LLC, une participation majoritaire dans la division de maintenance d’Air Canada qui a par la suite adopté le nom d’Aveos. Un peu moins d’un an et demi après la transaction, la firme d’investissement américaine avait ramené à zéro la valeur de son placement dans la société de maintenance.

Aveos avait fermé ses centres de Montréal, Mississauga et Winnipeg après avoir perdu une bonne partie de ses contrats de maintenance. Survenu en mars 2012, l’évènement avait déclenché une série de recours judiciaires contre Air Canada, à qui l’on reprochait de ne pas respecter les obligations de sa loi constituante de 1988.

Près de 2600 personnes, dont 1800 au Québec, avaient perdu leur emploi. Le présent recours couvre la période allant de 2012 à 2016, année où la loi fédérale a été modifiée par le gouvernement Trudeau pour offrir de la souplesse à Air Canada.

En plus du non-respect de la loi fédérale, ce qui avait déjà été confirmé par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel dans le cadre de recours judiciaires intentés par le gouvernement québécois, la poursuite souhaitait montrer qu’Air Canada était responsable de la débâcle de son fournisseur.

Un témoin visé

Me Girard s’est également penché sur le témoignage de l’ex-président d’Aveos Joe Kolshak, un témoin clé de la poursuite, qui avait reproché à Air Canada d’avoir exacerbé les pressions financières sur l’entreprise qu’il dirigeait au début de l’année 2012.

« Il ne vous a jamais dit qu’Air Canada avait un plan pour se débarrasser d’Aveos », a souligné l’avocat à la juge Hivon.

M. Kolshak avait notamment estimé qu’Aveos n’aurait pas cessé ses activités en mars 2012 si le transporteur aérien avait respecté ses engagements. Il avait toutefois reconnu que l’entreprise de maintenance devait se restructurer dans l’espoir de survivre.

Ce dernier souhaitait accroître et diversifier le bassin de clients d’Aveos tout en améliorant certains indicateurs d’efficacité.

« Ce qu’on souhaitait, c’est que l’entreprise devienne un centre d’excellence en matière d’aéronautique comme celui de Lufthansa Technik, a rappelé Me Girard. Ce n’est pas parce que le plan ne s’est pas réalisé qu’il y avait un désir d’Air Canada de le faire échouer. »

Ce jeudi, la poursuite pourra répliquer à la plaidoirie de la défense.