Un « coup de pouce inespéré » du point de vue syndical. Un risque de « choc économique considérable » du point de vue des employeurs. La proposition du président du conseil d’administration de Cogeco, Louis Audet, de rehausser rapidement le salaire minimum au Québec jusqu’à 20 $ l’heure a suscité maintes réactions depuis son énoncé devant l’auditoire d’affaires du Cercle canadien, lundi à Montréal.

« Cette sortie de la part d’un ténor du patronat québécois est un coup de pouce inespéré à la campagne que nous menons depuis des années pour rehausser le salaire minimum au Québec à un niveau plus viable au-dessus du seuil de pauvreté », commente Denis Bolduc, secrétaire général de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), qui est l’un des regroupements syndicaux les plus influents dans l’économie québécoise.

« Le timing de cette proposition [de M. Audet] est d’autant plus intéressant qu’elle survient peu de temps après que nous ayons rehaussé avec les autres grands syndicats notre revendication d’un salaire minimum à 18 $ l’heure, par rapport au taux de 15 $ l’heure demandé depuis des années, explique M. Bolduc en entrevue avec La Presse.

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Louis Audet, président du conseil d’administration de Cogeco

« Nous sommes à quelques semaines de l’habituelle décision en réunion de fin d’année du Conseil des ministres à Québec à propos de l’évolution du salaire minimum au cours de l’année suivante. Cette fois-ci, après la sortie de Louis Audet, le gouvernement Legault devra considérer que les groupes syndicaux et sociaux ne sont plus les seuls à revendiquer une hausse accélérée et significative du salaire minimum, en tant que mesure importante pour réduire les inégalités économiques au Québec. »

Les patrons plus réservés

En contrepartie, les regroupements d’entreprises accueillent plutôt froidement la suggestion d’une hausse rapide du salaire minimum jusqu’à 20 $ l’heure. Et même si elle provient de l’un des présidents d’entreprise les plus en vue de Québec inc. 

Le Conseil du patronat, qui regroupe les plus gros employeurs du secteur privé au Québec, est « d’accord avec les objectifs de réduction des inégalités sociales et d’une meilleure valorisation du travail, à commencer par les emplois à bas salaire », affirme Karl Blackburn, président et chef de la direction.

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Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat

« Cela dit, le débat sur l’évolution du salaire minimum, qui est très important pour l’économie, ne peut se faire sur le coin d’une table. Il doit se faire en se référant à des indicateurs économiques reconnus comme l’écart entre le salaire minimum et le salaire moyen, ainsi que la capacité de payer des employeurs tout en maintenant leur niveau de productivité et de compétitivité dans leurs marchés respectifs, notamment à l’exportation », a expliqué M. Blackburn lors d’un entretien avec La Presse.

« Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs clés de l’économie, et d’une forte hausse des pressions inflationnistes, une augmentation trop rapide du salaire maximum jusqu’à 20 $ l’heure risque, par exemple, d’engendrer un choc économique très important. Et même des conséquences catastrophiques dans les secteurs de l’économie qui sont déjà à plus faible marge de profit, comme le commerce de détail, l’hébergement, la restauration et le tourisme. »

Les PME inquiètes

« Une hausse du salaire minimum à 20 $ l’heure représenterait une augmentation de l’ordre de 48 %. Ce serait un gros choc à encaisser qui ferait beaucoup de mal aux PME dont la masse salariale est l’un des postes budgétaires les plus importants », indique pour sa part François Vincent, vice-président au Québec de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes, plus important regroupement de PME au pays.

« De plus, cette proposition arrive à un moment où les PME sont encore extrêmement fragilisées par les conséquences de la pandémie. La moitié d’entre elles n’ont pas encore retrouvé leurs revenus normaux, selon notre plus récent relevé effectué au début d’octobre », a souligné M. Vincent lors d’un entretien avec La Presse.

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François Vincent, de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes

« Les secteurs d’activité qui demeurent les plus touchés par la pandémie sont ceux où la présence de salariés au salaire minimum est la plus grande, notamment la restauration et le commerce de détail. »

« Il existe des mesures plus efficaces pour lutter contre la pauvreté que de seulement demander chaque année des augmentations plus importantes du salaire minimum », affirme François Vincent.

« Par exemple, en bonifiant l’exemption de base personnelle [dans le revenu imposable], en améliorant les primes au travail ou les crédits d’impôt ciblés pour les employés à bas salaire. Ce seraient des mesures qui, sans créer une pression salariale supplémentaire sur les PME, seraient plus équilibrées et plus efficaces pour les salariés, pour les employeurs et pour l’économie. »

En chiffres

13,50 $

Le salaire minimum au Québec depuis la hausse de mai dernier, comparativement à 14,35 $ l’heure en Ontario depuis le 1er octobre

Entre 8,21 $ US et 14 $ US

Aux États-Unis, les salaires minimums légiférés par les États varient de 8,21 $US l’heure au Minnesota à 14 $US l’heure en Californie, soit l’équivalent de 10,30 $ à 17,50 $ l’heure en dollars canadiens.