Après avoir fait des études en génie industriel à Polytechnique Montréal et été recrutée par la multinationale de services et d’équipements pétroliers Schlumberger, Indira Moudi a occupé durant 20 ans différents postes de haute direction à l’échelle internationale dans le domaine de l’énergie. Mais la fibre entrepreneuriale a ramené la gestionnaire à des sources beaucoup plus régionales puisqu’elle a racheté en 2012 l’usine de transformation Viandes Lafrance, à Shawinigan. Récit du parcours atypique d’une entrepreneuse mondiale qui pense local.

Racontez-nous d’abord ce qui vous a amenée à l’époque à venir étudier le génie industriel à Polytechnique Montréal alors que vous avez grandi en Afrique. Était-ce un hasard ?

Mon père est originaire du Niger, et ma mère, d’origine indienne, est née en Guyane anglaise. Mes parents se sont rencontrés durant leurs études de médecine en Russie, et je suis née en Algérie. J’ai fait mes études secondaires dans quatre pays d’Afrique puisque mes parents travaillaient pour l’Organisation mondiale de la santé et étaient appelés à se déplacer beaucoup. Mes parents ont jugé que Montréal et le Canada étaient un bon endroit pour étudier, alors je suis allée à Brébeuf avant de m’inscrire en génie industriel à Polytechnique. J’avais déjà à cœur de faire part des bonnes pratiques de gestion canadiennes à l’Afrique, et c’est ce que j’ai fait à titre de leader globale.

Vous avez été rapidement recrutée par la multinationale Schlumberger. Cela a-t-il changé votre vie ?

Oui, tout à fait. J’ai eu une très belle carrière chez Schlumberger, groupe mondial de 100 000 employés. Le lendemain de l’obtention de mon diplôme, j’avais une entrevue à Londres, où on m’a offert d’aller travailler où je voulais dans le monde. J’ai choisi le Nigeria, puissance pétrolière, parce que c’était à côté du pays d’origine de mon père, le Niger.

J’ai travaillé par la suite dans plusieurs pays d’Afrique, où j’ai été gestionnaire de plateforme, avant de me retrouver en 2004 en France à titre de responsable de tout le recrutement pour l’Europe et la Russie. En même temps, en 2004, j’ai fondé African Supplier, une société qui venait en aide aux entreprises locales pour qu’elles obtiennent leur certification internationale. Puis, je me suis retrouvée deux ans à Houston comme responsable mondiale de la formation, toujours pour Schlumberger, avant de passer un an en Inde pour l’ouverture d’une première manufacture là-bas. J’ai quitté Schlumberger en 2008 pour me joindre au groupe français Areva, devenu Orano, à titre de vice-présidente, environnement et responsabilité sociale, au Niger durant quatre ans, avant de devenir présidente de Baker Hughes pour l’Afrique centrale au Congo.

Qu’est-ce qui vous a amenée à racheter en 2012 Viandes Lafrance, entreprise familiale de troisième génération de Shawinigan, alors que votre carrière internationale dans le secteur de l’énergie était à son zénith ?

Parallèlement à mes activités professionnelles, j’avais fait un stage à Harvard en fusion et acquisition, et j’ai commencé à regarder au Québec s’il y avait des possibilités d’acquérir une entreprise, pour exercer mon goût d’entrepreneuriat. En août 2011, j’ai rencontré à Shawinigan André et François Lafrance, qui étaient de la troisième génération de la famille à diriger Viandes Lafrance, et ils n’avaient pas de relève. J’ai réuni des investisseurs financiers et acheté Lafrance en avril 2012. C’est mon mari, Guillaume Pham, que j’avais rencontré à Paris en 2002, qui est lui aussi ingénieur en télécom et titulaire d’un doctorat, qui a pris la direction générale du groupe. Il y avait un très grand potentiel, et on a entrepris de mieux structurer l’organisation, d’établir des normes. On est aujourd’hui le plus gros abattoir d’ovin, de bovin et de caprin de compétence provinciale au Québec.

En quoi votre parcours en gestion internationale vous a-t-il été utile pour diriger une entreprise régionale comme Viandes Lafrance ?

Comme dans le secteur de l’énergie, où j’ai évolué durant 20 ans, l’agroalimentaire doit se développer de façon beaucoup plus écoresponsable. L’être humain mangera toujours. On est un service essentiel, mais il faut produire localement et évoluer de façon responsable. Tous nos producteurs sont locaux, et on dessert le marché du Québec dans son ensemble en fournissant les boucheries et les chaînes de magasins d’alimentation qui ont des sections de produits régionaux.

On coûte plus cher, mais ce sont des produits locaux, de meilleure qualité. Depuis bientôt 10 ans, on travaille au développement et au renforcement de la marque Lafrance, et on a des projets d’expansion. Pour réaliser nos ambitions, cela nous prend la collaboration de nos partenaires, notamment le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, sur qui on compte pour nous accompagner dans notre cheminement. On travaille aussi beaucoup sur l’inclusion ; 12 nationalités sont représentées parmi la cinquantaine de nos employés.

Après avoir beaucoup voyagé dans le monde, êtes-vous maintenant enracinée à Shawinigan ?

Oui. Mes deux sœurs et nos six enfants sont tous implantés autour de Shawinigan. On vit juste à côté du parc de la Mauricie. On s’est installés à Saint-Boniface, un coin magnifique, et on veut participer à la vitalité de la région. C’est un peu une première retraite pour nous. Mon mari aussi a travaillé 20 ans dans des postes de direction au sein de multinationales. Là, on vit à l’échelle humaine. On a beaucoup vécu à l’extérieur, et je gérais à distance, ce que beaucoup ont découvert avec la COVID-19. Viandes Lafrance a évolué et va continuer de le faire de façon écoresponsable. J’ai été formée pour faire de la production de masse, mais ici, on a une usine à taille humaine, et je prends à cœur mon rôle de PDG.