Le Canada a su mettre en place des mécanismes fiscaux qui font en sorte que les générations successives peuvent améliorer leur sort économiquement. En effet, la mobilité sociale au Canada est l’une des meilleures au monde, d’après l’Institut du Québec. De plus, le Canada jouit d’un taux de diplomation universitaire supérieur à 60 % chez les jeunes, une situation enviable. Cependant, dans l’intérêt de la démocratie, la cohésion sociale demande à être continuellement entretenue.

Toutefois, force nous est de constater que ces résultats sont atteints en bonne partie grâce au rééquilibrage fiscal, et non pas comme résultat de la valorisation du travail de ceux que les transferts fiscaux viennent aider.

D’autre part, les mécanismes qui minent la démocratie ont été amplement décrits au fil des âges, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Quand la majorité estime que les écarts de richesse et d’accès aux occasions favorables sont trop grands, l’insécurité sociale s’installe.

Il est normal qu’il existe des disparités de revenus qui dépendent des efforts et des sacrifices consentis qui varient d’une personne à une autre. Mais les forces du marché, laissées à elles-mêmes, menacent la stabilité des démocraties à moyen et à long terme. C’est donc à partir de cette logique qu’il faut s’attaquer au problème.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Audet, président du conseil d'administration de Cogeco

Un salaire minimum autour de 14 $ l’heure équivaut à un revenu annuel de 23 500 $, ce qui est bien inférieur au seuil de la pauvreté défini par Statistique Canada d’entre 24 400 $ et 32 600 $, en fonction de la localité et du nombre de personnes dans le ménage.

S’il est vrai que les ressources convergent vers les nantis de la société, je ne crois pas qu’il faille en conclure que des niveaux d’imposition supérieurs à 53 % sont appropriés, de peur de décourager l’initiative. Par contre, nous pouvons réduire les écarts en valorisant davantage le travail des déciles des revenus inférieurs. Cette logique nous mène à la réalisation que le salaire minimum doit d’urgence être augmenté.

Les arguments contre une augmentation importante du salaire minimum au Canada, comme ailleurs dans le monde, sont bien connus, en voici quelques-uns : si les travailleurs coûtent plus cher, il y aura perte d’emplois ; si cette mesure leur est imposée, les petits commerçants vont faire faillite.

Le sujet est d’actualité puisque le 11 octobre dernier, le professeur David Card, de l’Université de Californie à Berkeley, natif de Guelph, en Ontario, a reçu le prix Nobel d’économie pour sa démonstration que les craintes quant aux effets néfastes de l’augmentation du salaire minimum sont sans fondement. Ses études remontent à 1994 et ont été revalidées en 2000. Compte tenu des réticences qui se manifestent encore aujourd’hui, les préjugés ont manifestement de l’endurance ! C’est d’ailleurs ce que dénonce l’éditorial du Globe and Mail du 13 octobre dernier.

À mon avis, il est grand temps que le salaire minimum soit augmenté de façon significative. Mais pas sans mesures de sauvegarde.

Pour assurer la prospérité des petites entreprises, il importe que l’État exerce une surveillance étroite du respect du salaire minimum accru. Sans une telle surveillance, les travailleurs à statut précaire sont susceptibles d’être exploités. La surveillance doit assurer que l’application est uniforme, de sorte que cette augmentation soit compétitivement neutre pour les commerçants.

L’expérience de l’Ontario qui a haussé son salaire minimum à 14 $ en 2019 n’a pas engendré de retombées économiques négatives et s’est notamment traduite par une hausse des heures travaillées et une stabilité de la fréquentation scolaire.

Ayons donc la conviction d’inciter les gouvernements à aller plus loin vers une valorisation du travail. Nous devons tenter des choses qui font une vraie différence.