L’entreprise Stace de Saint-Augustin-de-Desmaures qui conçoit et fabrique des composantes critiques pour les grandes centrales électriques et des panneaux photovoltaïques pour les producteurs d’énergie solaire vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc en développant un accumulateur d’énergie. C’est pourquoi son PDG, Normand Lord, a annoncé la semaine dernière l’acquisition d’une usine à Matane où seront fabriqués ces réservoirs d’énergie renouvelable qui permettront aux petites centrales de gérer de façon optimale leur production.

Q. Avant de nous expliquer vos projets d’expansion à Matane, racontez-nous les origines de la Saint-Augustin Canada Electric (Stace) et ce que vous fabriquez au juste.

R. C’est la multinationale GE qui s’est implantée à Saint-Augustin-de-Desmaures en 1977 pour assurer un contenu local pour ses contrats de fabrication avec Hydro-Québec. On usinait les conduites et les systèmes de transport d’énergie pour les centrales de grande puissance.

J’étais directeur de l’usine en 2015 lorsque GE a annoncé son intention de rapatrier ses activités aux États-Unis. Je les ai convaincus de me vendre l’usine pour devenir leur fournisseur et je me suis alors associé à des investisseurs chinois pour racheter l’usine. Deux ans plus tard, j’ai racheté les investisseurs chinois et je suis devenu le seul actionnaire de Stace.

Q. L’usine était pourtant rentable, pourquoi GE voulait-elle s’en départir ?

R. L’entreprise était en restructuration et voulait centraliser ses opérations. J’avais passablement élargi nos activités, on fabriquait des conduites pour les centrales au gaz et à vapeur et même pour le nucléaire. On était aussi dans l’éolien. Ç’a été une bonne décision puisque depuis 2015, on a doublé nos revenus et on a doublé aussi nos effectifs à 250 personnes.

Q. Tous les producteurs d’énergie éolienne et solaire disent que le principal enjeu de leur industrie, c’est de pouvoir emmagasiner l’énergie produite pour la redistribuer plus tard aux heures de consommation de pointe. C’est ce que votre accumulateur d’énergie va faire ?

R. Absolument. Cela fait cinq ans que l’on travaille sur ce projet d’accumulateur ou de réservoir d’énergie sous forme mécanique. On a investi 10 millions en développement. On peut accumuler de l’énergie de façon chimique avec des batteries, mais notre système est plus écoresponsable et a une durée de vie de 40 ans alors que celle des batteries est de sept ans et demi.

On a mis au point un disque d’acier de 17 000 livres qui tourne avec l’énergie produite, qu’elle soit solaire, éolienne ou même hydroélectrique. Lorsque l’on ralentit le disque, l’énergie se libère. La vitesse du disque peut atteindre 1500 kilomètres à l’heure et son ralentissement s’étire sur plusieurs heures durant lesquelles on récupère l’énergie emmagasinée.

Un producteur d’énergie solaire peut attendre jusqu’à 17 h le soir avant de libérer l’énergie de la journée et il obtiendra alors un bien meilleur prix au tarif de pointe.

Notre accumulateur peut aussi servir comme source d’appoint en cas de panne ou de ralentissement pour des sites industriels.

Q. Et cette nouvelle technologie a été éprouvée ?

R. On l’a développée en collaboration avec l’Université de Sherbrooke et on a fabriqué jusqu’à présent dix prototypes, dont certains ont été installés au parc solaire qu’on a construit en Californie qui est un peu notre vitrine technologique.

Q. Et vous avez décidé de fabriquer votre accumulateur dans une nouvelle usine que vous avez achetée à Matane. Pourquoi Matane ?

R. On a racheté l’usine d’Enercon à Matane où on fabriquait des tours d’éoliennes en ciment et qui a fermé ses portes. On avait besoin d’espace et on se retrouve à proximité d’un chemin de fer et d’un port de mer. C’est un site stratégique pour nous.

On va fabriquer nos accumulateurs mécaniques à Matane, mais on va aussi fabriquer des accumulateurs chimiques qui sont en fait des conteneurs dans lesquels on stocke des batteries qui font l’accumulation d’énergie et des centrales de puissance pour les centres de données.

On parle ici d’un investissement de plusieurs dizaines de millions, mais le marché pour nos produits est en forte expansion et représentera des milliards dans les prochaines années. On a la technologie, on a la crédibilité, on a le marché et on veut faire de Matane la plaque tournante des réservoirs d’énergie.

Q. Vous avez aussi une usine à Trois-Rivières où vous fabriquez des panneaux photovoltaïques pour la production d’énergie solaire. Vous êtes en compétition directe avec les fabricants asiatiques. Est-ce que vous arrivez à être concurrentiel ?

R. C’est certain qu’on n’arrive pas à battre les producteurs asiatiques sur les prix, mais on a le grand avantage d’être un producteur beaucoup plus vert qu’ils ne le sont parce que nos activités de fabrication sont réalisées à partir de l’hydroélectricité.

Chez les Européens, notamment en France et en Norvège, c’est un critère essentiel. On construit plusieurs parcs solaires pour des opérateurs là-bas, mais on a notre propre parc en France comme on a un parc en Californie qui nous servent de vitrines technologiques.

Q. Vous étiez au départ un fabricant pour General Electric. Est-ce que la multinationale américaine est encore un client important pour vous ?

R. J’ai commencé en 2001 chez GE Saint-Augustin et j’ai pas mal développé de nouveaux débouchés, mais GE reste un gros client qui représente entre 30 et 40 % de nos revenus annuels, un pourcentage qui tend à baisser à mesure que l’on développe de nouveaux produits et de nouveaux marchés.

Q. Est-ce que le Québec a un bon potentiel de développement pour le solaire ou est-ce un marché qui va demeurer marginal ?

R. Il y a beaucoup de potentiel au Québec, mais on manque de vision. On vient de réaliser à Bordeaux, en France, la construction d’un vaste parc solaire sur un ancien site d’enfouissement. Ils ont recouvert le sol d’une toile et de terre, et on a installé nos panneaux. C’est une façon intelligente de revaloriser des sites dévitalisés.

On pourrait utiliser davantage le solaire pour la production en serre ou même dans d’autres champs de culture où nos panneaux peuvent conserver la chaleur au sol durant les périodes de refroidissement au printemps.

On commence à utiliser nos panneaux pour alimenter les tours cellulaires plutôt que d’utiliser du gaz naturel. Il y a encore beaucoup de potentiel.