Des négociations difficiles, des demandes jugées inacceptables et un avis d’expropriation contesté… Depuis des années, l’École nationale d’aérotechnique (ENA) et l’aéroport de Saint-Hubert ne sont pas sur la même longueur d’onde. Cette relation turbulente est au cœur d’une dispute judiciaire qui a éclaté à la fin du printemps dernier.

La discorde concerne une parcelle de terrain d'environ 1,26 million de pieds carrés – occupée depuis 50 ans par les installations du centre de formation technique sur le vaste terrain de l’aéroport. D’un côté, le propriétaire du terrain exigeait un loyer jusqu’à 10 fois supérieur au loyer précédent, d’après des informations recueillies par La Presse. De l’autre, le locataire tente de mettre la main sur le terrain en expropriant son propriétaire.

Développement Aéroport Saint-Hubert de Longueuil (DASH-L), propriétaire et exploitant des installations, juge que la tentative d’expropriation – qui a reçu l’aval du Conseil des ministres – à son endroit est anticonstitutionnelle.

Campus du cégep Édouard-Montpetit, l’ENA loue le terrain depuis 1971. À l’époque, l’entente avait été signée avec Transports Canada, qui a transféré les actifs de l’aéroport à DASH-L, un organisme sans but lucratif, en 2004.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’aéroport de Saint-Hubert

Il s’agissait d’un bail emphytéotique, qui permet au locataire de jouir d’un droit réel et de réaliser des aménagements ainsi que des constructions. À l’échéance, les installations appartiennent en principe au propriétaire du terrain, ce qui complique les choses dans cette affaire.

Le contrat est venu à échéance le 30 avril dernier et les deux parties, qui négocient depuis « au moins 2018 » selon les documents déposés auprès de la Cour supérieure du Québec, n’ont jamais été en mesure de s’entendre.

Une entente temporaire permet à l’ENA de continuer à occuper les lieux puisque plusieurs autres étapes sont prévues dans le cadre du processus judiciaire.

Plus cher

Le centre de formation payait 400 000 $ annuellement en vertu de son bail.

D’après les informations de La Presse, DASH-L espère obtenir jusqu’à 4 millions par année. De son côté, le cégep souhaite acheter le terrain plutôt que de payer un loyer jugé trop onéreux. Toujours selon nos informations, la facture exigée par DASH-L a oscillé entre 60 millions et 80 millions pour la propriété au fil du temps. Ces propositions auraient forcé l’ENA à payer le prix des bâtiments qu’elle a elle-même construits au cours des années avec de l’argent public. En principe, ces actifs appartiendraient à DASH-L à l’expiration du bail.

« On ne peut pas justifier cela sur la place publique », explique une source bien au fait du dossier et qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement puisque le processus judiciaire est en cours.

Le cégep Édouard-Montpetit n’a pas voulu faire de commentaires, évoquant la judiciarisation du processus.

Depuis sa création, l’ENA, qui se présente comme le plus important établissement d’enseignement du genre en Amérique du Nord, a délié les cordons de la bourse pour élargir son empreinte, notamment avec la construction de hangars et d’ateliers de formation. On y recense 38 aéronefs (27 avions et 11 hélicoptères).

Selon nos informations, la valeur des installations et des équipements est évaluée à plus de 100 millions.

Du côté de DASH-L, le président du conseil d’administration, Charles Vaillancourt, n’a pas voulu confirmer ou infirmer les informations de La Presse à propos des demandes de l’organisme sans but lucratif.

Dans un courriel, il a souligné que le terrain occupé par l’ENA était « extrêmement stratégique pour l’aéroport » – qui souhaite attirer des transporteurs à bas coût afin d’offrir des vols nationaux et vers les destinations soleil – parce qu’il est situé en bordure de la piste principale.

Ce terrain n’est « pas à vendre », a-t-il écrit. Bien que l’ENA ait exprimé à de nombreuses reprises son désir d’acquérir ce terrain, il n’en a jamais été question pour DASH-L, a souligné M. Vaillancourt. Il n’y a jamais eu de véritable négociation sur les modalités ou le loyer d’un éventuel bail puisque l’objectif de l’ENA est de devenir propriétaire du terrain, pas de continuer à être locataire. »

Dans sa demande introductive d’instance visant à invalider l’avis d’expropriation, déposée auprès de la Cour supérieure en juin dernier, DASH-L affirme avoir signifié à maintes reprises, depuis 2018, qu’il n’entendait pas vendre ou louer son terrain à des conditions qu’il estimait « défavorables ».

L’organisme sans but lucratif fait valoir que le cégep a « toujours su et compris » qu’en étant locataire, il n’avait « aucun droit réel » sur des travaux réalisés sur les terrains qui lui appartiennent depuis 2004.

« Le cégep a préféré attendre les derniers jours précédant l’échéance du bail pour exercer un recours demandant au tribunal d’autoriser le transfert […] alors que le cégep était informé de la situation […] depuis plusieurs années », peut-on lire.

Démarche provinciale, compétence fédérale

Le cégep Édouard-Montpetit est allé de l’avant avec son avis d’expropriation le 9 avril dernier à la suite d’un décret adopté deux jours plus tôt par le Conseil des ministres du gouvernement Legault. L’acquisition du terrain aurait été financée par le ministère de l’Enseignement supérieur.

D’après l’article 7 de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel, un collège peut, avec l’autorisation du gouvernement, exproprier « tout immeuble nécessaire à ses fins », sauf s’il s’agit d’un établissement « servant à des fins de religion ou d’éducation ».

Mais DASH-L voit la chose d’un autre œil. L’organisme sans but lucratif juge la démarche inconstitutionnelle, faisant valoir que la gestion et l’exploitation d’un aéroport constituent des activités qui relèvent exclusivement de la compétence du gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur l’aéronautique.

Il n’en reste pas moins que l’incertitude des dernières années freine certains projets de l’ENA. Par exemple, l’ENA compte depuis 2018 sur un des appareils utilisés par Bombardier dans le cadre du processus de la certification de la C Series. Il n’y a toutefois pas de hangar assez grand pour l’accueillir. La construction d’un nouveau bâtiment se fait attendre, de sorte que l’avion reste à l’extérieur en hiver. Cela limite les possibilités pour les élèves.