En unissant leur destinée comme elles en ont annoncé l'intention mardi, Agnico Eagle et Kirkland Lake Gold se hisseraient au troisième rang des producteurs d’or dans le monde. Ce nouveau géant canadien, d’une valeur boursière de près de 30 milliards, aura une saveur québécoise, ce qui est de bon augure pour la province, croient des acteurs de l’industrie aurifère.

Son siège social est en Ontario, mais l’Abitibi-Témiscamingue constitue en quelque sorte le berceau d’Agnico Eagle, où elle exploite, entre autres, les mines LaRonde et Goldex. La société détient également la moitié de Canadian Malartic, la plus grande mine d’or à ciel ouvert au pays.

« Le bureau est à Toronto, mais c’est bourré de Québécois, lance au bout du fil André Gaumond, fondateur de Mines Virginia, l’un des plus grands succès d’exploitation québécois des dernières décennies. On y parle français presque autant qu’anglais. Il y a beaucoup de Québécois dans la haute direction de l’entreprise. »

Vérification faite, on retrouve bon nombre de Québécois au sein de l’organigramme de la société, surtout du côté des vice-présidents principaux et vice-présidents. Environ la moitié sont originaires de la province, selon un décompte effectué par La Presse.

Il y a encore des obstacles à franchir pour cette transaction évaluée à plus de 13 milliards annoncée mardi et qui a soulevé certaines interrogations chez les analystes financiers. Elle doit obtenir le feu vert des actionnaires des deux entreprises ainsi que les approbations réglementaires habituelles.

Un concurrent pourrait également venir jouer les trouble-fêtes en faisant grimper les enchères.

Mais la volonté de créer un nouveau géant canadien bien ancré dans le marché canadien constitue un bon signe pour le secteur aurifère, selon Benoît La Salle, fondateur du producteur d’or Semafo – désormais propriété d’Endeavour –, qui est actuellement à la tête du producteur de métaux précieux Aya.

Agnico, c’est parti de l’Abitibi. Quand tu travailles pour Agnico en Abitibi, tu ne travailles pas pour une compagnie de Toronto. C’est culturel. Je pense que ça sera protégé avec la transaction. On aime toujours mieux quand c’est une société qui a des racines au Québec qui consolide.

Benoît La Salle, fondateur de Semafo

Dans une déclaration, la présidente-directrice générale de l’Association minière du Québec, Josée Méthot, s’est réjouie de voir un « joueur très important » de l’industrie québécoise prendre de l’expansion. « Cette fusion […] créera une synergie […], ce qui est de bon augure pour le développement de nouveaux projets au Québec, a-t-elle souligné. La nouvelle entreprise mentionne vouloir notamment miser sur le développement de nouvelles opportunités en Abitibi et nous ne pouvons que nous en réjouir. »

En tête de peloton

D’après le site spécialisé Kitco, la production d’Agnico Eagle et de Kirkland Lake s’est chiffrée à 3,11 millions d’onces en 2020. À l’échelle mondiale, le duo se serait retrouvé derrière la torontoise Barrick Gold (4,76 millions) et l’américaine Newmont (5,91 millions), qui occupent les deux premières places du classement.

Contrairement à ses rivales, qui exploitent des gisements dans des endroits comme l’Afrique et l’Amérique du Sud, l’entité découlant du regroupement des deux sociétés minières se concentrerait davantage au Canada. « La majorité de l’or proviendrait du Canada, souligne M. Gaumond. L’Australie représenterait 12 % et le reste proviendrait de la Finlande et du Mexique. On parle de régions stables politiquement. »

Le regroupement exploiterait 12 mines et ses réserves d’or seraient estimées à 48 millions d’onces (85 % au Canada), d’après Mike Parkin, de la Financière Banque Nationale. L’analyste table sur une production de 3,56 millions d’onces pour 2022.

Alors que le cours de l’once du métal précieux se situe aux alentours de 1720 $ US – il avait franchi la barre des 2000 $ US en août 2020 –, M. Gaumond estime que le coût de production de la nouvelle entité sera approximativement de 900 $ US l’once, comparativement à 995 $ US l’once pour Barrick et 970 $ US pour Newmont.

« On parle du troisième producteur, mais il sera celui avec le plus bas coût de production », fait-il remarquer.

Des questions

La transaction prévoit que les actionnaires de Kirkland obtiendront 0,7935 action ordinaire d’Agnico pour chacun de leurs titres. Il n’y a pas de prime en espèces. La nouvelle entité serait détenue conjointement par les actionnaires d’Agnico (54 %) et de Kirkland (46 %).

Cette proposition conférait une valeur de 51,75 $ à l’action de Kirkland. À la Bourse de Toronto, mercredi, le titre de la société a clôturé à 52,97 $, en hausse de 1,59 $, ou 3,1 %, tandis que celui d’Agnico s’est emparé de 2,19 $, ou 3,5 %, pour terminer à 65,22 $.

« En dépit des synergies potentielles, la transaction constitue un changement de cap pour Agnico qui, auparavant, ne semblait pas vouloir jouer un rôle dans la consolidation de l’industrie », a estimé l’analyste Josh Wolfson, de RBC Marchés des capitaux, dans une note.

Certains analystes se sont aussi demandé pourquoi Kirkland, qui a réalisé d’importants progrès au cours des cinq dernières années, avait choisi de consentir à cette transaction. En conférence téléphonique avec les analystes, mardi, les dirigeants des deux sociétés ont affirmé qu’un regroupement allait accélérer leur croissance.

Parallèlement, l’absence d’une prime offerte aux actionnaires de Kirkland pourrait également inciter un rival à s’inviter dans la danse, croit Ovais Habib, de la Banque Scotia. « Les chances [d’une offre de la part d’un intrus] sont plus élevées », a souligné l’analyste, dans une note.

Lundi, le site spécialisé IKN avait avancé que Barrick Gold, Newcrest Mining et Newmont convoitaient Kirkland.

Vincent Metcalfe, cofondateur de Redevances Nomad, ne s’est pas montré surpris de la structure de la combinaison. « La taille de l’entité est importante, affirme-t-il. On combine de très bons actifs. C’est une manière conservatrice de ne pas payer de prime à l’achat et de mettre sur pied une entreprise qui peut concurrencer Newmont et Barrick. »

M. La Salle a ajouté que Barrick avait utilisé la même approche (l’absence de prime à l’achat) pour mettre la main sur Randgold Resources (une entente évaluée à 6 milliards US) en 2018 et que la transaction avait été très bien accueillie.

Agnico Eagle en chiffres

Siège social : Toronto
Production en 2020 : 1,74 million d’onces
Complexes : LaRonde (Abitibi-Témiscamingue), Goldex (Abitibi-Témiscamingue), Canadian Malartic (Abitibi-Témiscamingue), Hope Bay (Nunavut), Meadowbank (Nunavut), Meliadine (Nunavut), Kittila (Finlande), La India (Mexique), Pinos Altos (Mexique)
Valeur boursière (en date du 29 septembre) : 15,9 milliards
Principaux actionnaires : Van Eck Associates (5,16 %), Fidelity Management (4,66 %), MFS Investment Management (4,27 %)

Sources : Agnico Eagle, Bourse de Toronto, Refinitiv

Kirkland Lake Gold en chiffres

Siège social : Toronto
Production en 2020 : 1,37 million d’onces
Valeur boursière (en date du 29 septembre) : 14,13 milliards
Complexes : Macassa (Ontario), Detour Lake (Ontario), Fosterville (Australie)
Principaux actionnaires : Van Eck Associates (6,46 %), Rowe Price Associates (4,43 %), BlackRock Investment Management (4,28 %)

Sources : Kirkland Lake Gold, Bourse de Toronto, Refinitiv