Alimenté par une demande qui ne se dément pas, le prix de l’aluminium atteint actuellement des niveaux jamais vus depuis 2008. Les grands producteurs mondiaux font le plein de profits, mais gardent le pied sur le frein de l’investissement dans de nouvelles alumineries.

Aucun projet de nouvelles alumineries ou d’expansion des installations existantes n’est dans les cartons des producteurs d’aluminium présents au Québec, indique leur porte-parole, Jean Simard, président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada, dont font partie Rio Tinto et Alcoa.

« La demande est en hypercroissance et les taux d’intérêt très bas favorisent l’investissement, convient-il, mais il y a encore trop d’incertitudes. Les producteurs attendent de voir comment ça va se développer en Chine. »

À la fois le plus gros producteur et le plus gros consommateur d’aluminium au monde, la Chine a une influence importante sur la demande et le prix du métal blanc. Le pays de Xi Jingping a entrepris de moderniser sa production et de la rendre moins polluante, ce qui réduit sa capacité de production et l’oblige à importer de l’aluminium.

La reprise économique post-pandémie a accéléré la demande de toutes sortes de produits, dont ceux fabriqués en tout ou en partie d’aluminium, comme les téléphones, les voitures ou les canettes de bière. Les stocks ont fondu.

Cette combinaison de facteurs a fait doubler le prix du métal, qui a atteint 3000 $ US la tonne sur le marché des métaux de Londres. C’est deux fois plus qu’il y a 18 mois et un sommet depuis 2008.

Selon Jean Simard, les alumineries roulent toujours à plein régime et ne peuvent pas augmenter rapidement leur production pour profiter rapidement d’une remontée des prix. « Une augmentation de production, c’est un investissement de 2 milliards US qu’on fait pour les 25 ou 30 prochaines années, explique-t-il. Ce n’est pas comme une mine qui ferme quand les prix sont bas et qui reprend la production quand les prix remontent. »

Les grands producteurs d’aluminium font peut-être des calculs actuellement, mais Jean Simard ne pense pas que des investissements majeurs seront annoncés dans les prochains mois. « Ça me surprendrait beaucoup », dit-il, parce qu’il y a encore beaucoup d’inconnues. Parmi les incertitudes qui freinent l’investissement, il y a le prix du carbone, et son évolution prévisible, qui est un facteur important dans le secteur de l’aluminium.

Les profits au rendez-vous

Rio Tinto et Alcoa, deux des plus grands producteurs mondiaux d’aluminium présents au Québec, ont énormément profité de la hausse récente du prix du métal. Après les six premiers mois de l’exercice 2021, la division aluminium de Rio Tinto affiche un bénéfice d’exploitation de 1,9 milliard US, en hausse de 108 % sur la même période l’an dernier. L’entreprise précise que le coût de production de ses alumineries au Canada (sept au Québec et une en Colombie-Britannique) a été de 1262 $ US la tonne, alors qu’elle a obtenu un prix de vente moyen de 2626 $ US la tonne.

Alcoa, pour sa part, affiche pour la première moitié de l’exercice en cours un bénéfice d’exploitation de 1,2 milliard US, dont 743 millions US ont été générés par la production d’aluminium.

L’entreprise, dont le siège social est à Pittsburgh, vient d’annoncer le redémarrage d’une aluminerie fermée depuis 2015 au Brésil, qui mettra 268 000 tonnes d’aluminium supplémentaires sur le marché.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La Chine est à la fois le plus gros producteur et le plus gros consommateur d’aluminium au monde.

La production mondiale d’aluminium est estimée à 70 millions de tonnes, dont 58 % sont produites en Chine. Le Canada produit 2,9 millions de tonnes d’aluminium dans neuf alumineries, dont huit sont au Québec.

Des améliorations à la marge

L’augmentation du prix de l’aluminium n’a pas encore suscité d’investissements majeurs, mais elle pousse les producteurs à optimiser leurs installations pour les rendre plus performantes. Héloïse Harvey, qui dirige EPIQ Mecfor, un fournisseur d’équipements pour les alumineries, a constaté une augmentation soudaine de son carnet de commandes, qui a coïncidé avec la hausse du prix du métal.

L’entreprise a reçu des commandes de 18 millions en deux semaines « Tous les projets qui étaient dans les livres ont débloqué, dit-elle. Les alumineries ont ouvert les valves. »

Automatisation, modernisation, amélioration de la manutention, les producteurs investissent dans l’amélioration de leurs installations existantes.

Les usines québécoises sont performantes, mais elles commencent à avoir de l’âge, souligne Jean Simard, porte-parole de l’industrie. « Notre parc ne rajeunit pas, il faudra investir pour améliorer la productivité. »

Des projets toujours en attente

Plusieurs des projets d’investissement multimilliardaires déjà envisagés par les producteurs d’aluminium au Québec n’ont pas refait surface depuis. C’est le cas de l’expansion de l’aluminerie Alouette à Sept-Îles, de l’agrandissement des installations d’Alma, du déploiement commercial de la technologie AP 60, à Arvida.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Ouvriers à l’aluminerie Alouette de Sept-Îles, en 2016

Au Saguenay, l’impatience commence à se faire sentir. « Quand les prix étaient mauvais et les stocks élevés, on nous disait que ce n’était pas le temps d’investir, mais maintenant, c’est le contraire », souligne le député de Jonquière à l’Assemblée nationale, Sylvain Gaudreault.

Le gouvernement du Québec, avec les alumineries, a fait miroiter des investissements considérables à venir pour justifier la signature de contrats d’approvisionnement en électricité avantageux pour les entreprises. Dans ces contrats, le prix de l’électricité dépend en partie du prix de l’aluminium sur le marché international.

En 2020, Hydro-Québec rapportait un manque à gagner de 134 millions lié à ces contrats, en raison de la baisse du prix de l’aluminium. Cette année, l’impact devrait être positif. « Au 30 juin 2021, les revenus des contrats spéciaux sont en hausse de 38 millions en raison du prix de l’aluminium », a fait savoir la société d’État.

Pour Hydro-Québec, chaque hausse de 100 $ du prix de la tonne d’aluminium génère des revenus de 40 millions dans une année.

Des atouts réels ou éphémères ?

Grâce à l’énergie hydroélectrique abondante et peu chère, les producteurs d’aluminium du Québec veulent se positionner du côté vert du marché de l’aluminium. Le métal produit avec de l’énergie renouvelable est maintenant reconnu et demandé par le marché. Apple a d’ailleurs investi avec Rio Tinto et Alcoa dans le développement d’une nouvelle technologie nommée Elysis qui réduira l’empreinte carbone du métal.

C’est une voie d’avenir, mais le Québec n’est pas le seul à vouloir l’emprunter, souligne François Racine, président-directeur général d’Alu-Québec, la grappe industrielle de l’aluminium.

« On n’est pas les seuls à produire de l’aluminium vert, précise-t-il. Il y a la Norvège et l’Islande, qui ont des sources d’énergie renouvelable. »

Même la Chine, qui déplace sa production vers le sud, où de l’énergie hydroélectrique est disponible, produit plus d’aluminium vert que le Québec, selon M. Racine.

L’énergie est un élément important dans la décision d’investir dans une nouvelle aluminerie, mais ce n’est pas le seul, avance aussi cet ancien dirigeant d’Alcoa. Le coût total d’un projet de ce genre reste plus élevé au Québec qu’en Inde ou au Viêtnam, dit-il.

Selon lui, l’augmentation de la demande de métal sera de plus en plus absorbée par le recyclage, qui attirera énormément d’investissements au cours des prochaines années. Ce genre d’investissement se fait généralement près des grands marchés de consommation, ce qui désavantage le Québec.