En raison des retards dans le transport maritime, les détaillants et distributeurs de jouets craignent de ne pouvoir répondre à tous les désirs des enfants.

Pour Paule Rancourt, Noël est synonyme de soucis, même s’il reste encore plusieurs mois avant de voir l’hiver frapper à nos portes. La directrice générale de l’importateur et distributeur Jouet KID anticipe déjà les répercussions potentielles du « cauchemar » découlant de la crise mondiale du transport maritime sur les listes de souhaits des enfants.

« L’horloge du père Noël fait tic-tac et ça nous stresse de jour en jour, raconte-t-elle au bout du fil. Nous sommes à la fin août et les délais [de livraison] sont déjà de 60 à 70 jours. En 35 ans de travail, je vais vous avouer que c’est la première fois que je vois ça. L’an passé, ç’a été assez rock’n’roll, mais cette année, c’est comme si on avait perdu le contrôle. »

Si la plupart des commandes de l’entreprise fondée en 1987 – qui dit compter plus de 1000 clients à travers le pays – sont prêtes en Chine, il n’y a pas suffisamment de porte-conteneurs pour les acheminer en Amérique du Nord, affirme sa directrice générale.

Dans ce contexte, pourrait-il y avoir une pénurie de casse-tête, de figurines, de matériel de bricolage et d’autres articles prisés sous le sapin ? Probablement pas, explique Mme Rancourt, qui lance tout de même cette mise en garde.

« C’est sûr qu’il y a certains jouets que les enfants veulent qu’on ne recevra pas ou qu’on va recevoir tard, dit-elle. Le problème, dans l’industrie du jouet, c’est qu’il y a une échéance fatidique [le temps des Fêtes]. »

PHOTO FOURNIE PAR JOUET KID

Paule Rancourt, directrice générale de l’importateur et distributeur Jouet KID

Si vous savez ce que votre enfant veut pour Noël et que vous le voyez en magasin, achetez-le.

Paule Rancourt, directrice générale, Jouet KID

Jouet KID fait affaire avec de nombreux commerçants, des petits détaillants aux acteurs de grande envergure comme Walmart et Toys « R » Us.

Comme la plupart des autres secteurs de l’économie, les détaillants de jouets et les distributeurs n’échappent pas aux perturbations de la chaîne logistique du transport de marchandises, essentiellement attribuable à la pandémie de COVID-19. Aux États-Unis, 85 % des jouets vendus sont fabriqués à l’étranger, selon l’association commerciale qui représente l’industrie – un exemple de la dépendance aux produits importés.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Les détaillants de jouets et les distributeurs n’échappent pas aux perturbations de la chaîne logistique du transport de marchandises, essentiellement attribuable à la pandémie de COVID-19.

Un peu partout à travers le monde, les ports sont toujours congestionnés pour des raisons sanitaires ou faute de main-d’œuvre, ce qui entraîne des retards de livraison et fait exploser le prix des conteneurs. Environ 80 % des biens consommés dans le monde sont livrés par bateau.

« C’était 24 000 $ US pour le dernier conteneur que j’ai obtenu, lance Mme Rancourt. C’est cinq fois le prix habituel. En plus de l’espace, en Chine, ils sont devenus plus exigeants. J’importe beaucoup de produits Pat’ Patrouille parce que c’est la folie furieuse. Souvent, il y a des petites piles rondes dans les jouets. On refuse parfois de prendre des choses avec des piles. »

Selon la directrice de Jouet KID, de 10 à 15 conteneurs devraient quotidiennement sillonner les océans sur des porte-conteneurs. Mme Rancourt se dit satisfaite si elle peut en obtenir « un ou deux ». Inévitablement, une partie de la hausse des coûts risque d’être refilée aux consommateurs.

Une autre tuile

La crise dans le transport maritime risque de se complexifier puisque le niveau d’activité est en forte baisse dans le troisième port le plus achalandé au monde : celui de Ningo-Zhoushan, au sud de Shanghai. Un terminal est fermé depuis le 11 août en raison de la découverte d’un cas de COVID-19 parmi les employés.

« Nous prévoyons que la situation du marché ne s’améliorera qu’au premier trimestre de 2022 au plus tôt », a récemment reconnu Rolf Habben Jansen, le chef de la direction de Hapag-Lloyd, l’un des principaux acteurs du transport maritime, dans un communiqué.

Johanne Ferlatte, responsable des soumissions chez le courtier en douane et transitaire international BGL, qui compte quelque 2500 clients actifs, anticipe également des mois difficiles.

« Avec les problèmes des lignes maritimes, ça va être quoi, les mois de septembre, octobre et novembre ? se demande-t-elle. Ça va certainement être difficile pour les importateurs qui attendent leurs commandes pour le temps des Fêtes. Pour l’industrie du jouet, oh, là, là… »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Port de Montréal

Les grandes chaînes ont été prudentes dans leurs commentaires. Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), qui représente des enseignes comme Walmart et Toys « R » Us, a indiqué que les détaillants avaient vu « venir cette tempête » en devançant des commandes. L’organisation a néanmoins souligné que les retardataires risquaient d’avoir de « mauvaises surprises » pour certains articles.

Valérie Hamel, copropriétaire de Benjo, à Québec, a voulu jouer de prudence. Elle a effectué environ 90 % de ses commandes en vue de la période du magasinage des Fêtes.

Environ 75 % de la marchandise a été reçue, mais elle se trouve déjà sur les rayons du magasin. Si les coûts d’approvisionnement continuent d’exploser, il pourrait y avoir un impact plus tard cet automne.

« C’est là que je vais avoir une décision à prendre, raconte Mme Hamel. Si les prix n’ont pas d’allure pour certains articles, c’est sûr que ça va me porter à épurer certaines marques ou certains jouets. [Pour les détaillants] qui n’ont rien de commandé, à partir de maintenant, je peux vous confirmer qu’il est minuit moins quart. »

Danny Cayouette, propriétaire de la chaîne OJeux, qui exploite trois boutiques à Montréal, attend encore de la marchandise qui avait été commandée au printemps.

Cette incertitude oblige son entreprise à revoir ses pratiques pour certaines stratégies marketing. Il est difficile de préparer une « revue de Noël » sans savoir si les produits annoncés seront en stock.

« Il n’y a aucune garantie de réception, alors c’est difficile de faire des prévisions pour notre revue, affirme M. Cayouette. Si on se lance dans une revue, que l’on effectue toutes les démarches et que nous n’avons pas les produits, ça va mal. Des fournisseurs nous demandent d’effectuer nos placements pour Noël, mais je n’ai pas reçu ceux du printemps. »

L’an dernier, les consommateurs avaient amorcé leurs emplettes du temps des Fêtes à l’avance en raison des craintes de fermetures de commerces liées à la crise sanitaire, fait remarquer OJeux. À son avis, en 2021, c’est l’état des stocks qui risque d’en inciter un grand nombre à y penser plus tôt.

Mieux préparés pour la course aux décorations

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Les décorations de Noël avaient été populaires l’an dernier, malgré le confinement.

Les centres de rénovation et les quincailleries avaient été étonnés l’an dernier par la ruée vers les guirlandes lumineuses, décorations et autres accessoires pendant le confinement automnal. Cette fois-ci, ils devraient être mieux outillés si la magie de Noël se manifeste rapidement.

« Nous avons effectué les achats en conséquence pour satisfaire les clients le plus possible sans pour autant demeurer avec des stocks excédentaires à la fin de la saison », affirme Daniel Lampron, vice-président et chef de l’exploitation chez Patrick Morin.

Bon nombre de marchands avaient souligné, l’an dernier, que la course aux décorations était plutôt inhabituelle. Certains craignaient de manquer de guirlandes ou de boules quelques semaines avant Noël.

Plusieurs quincailliers ont tiré des leçons de la dernière saison au moment de commander leur marchandise de Noël, ce qui se fait généralement de janvier à mars.

Les difficultés d’approvisionnement provoquées par la rareté des conteneurs dans l’industrie maritime ont néanmoins des répercussions. Dans bien des cas, la marchandise arrivera plus tard qu’à l’habitude.

Auparavant, on recevait les produits de Noël vers les mois de mai et juin, mais là, nous allons les recevoir à l’automne. D’un point de vue logistique, il faut un peu plus de planification pour les envoyer dans les magasins à temps.

Daniel Lampron, vice-président et chef de l’exploitation chez Patrick Morin

Lowe’s Canada, qui est propriétaire de Rona, a de son côté fait valoir que l’impact des « des délais liés au transport maritime » ne constituait pas un « enjeu » pour l’entreprise.

« Certains détaillants ayant été pris de court l’année dernière avec l’engouement festif pour les décorations de Noël, ceux-ci ont prévu le coup pour cette année », a indiqué le porte-parole du Conseil canadien du commerce de détail, Jean-François Belleau, dans une déclaration, ajoutant qu’il n’y avait « pas d’inquiétudes de ce côté ».

Toutefois, en raison de l’explosion des coûts de transport, une partie de la facture pourrait être refilée aux consommateurs, a indiqué M. Lampron.

« C’est une question sur laquelle nous sommes en réflexion encore, dit-il. Pour la prochaine saison, il risque d’y avoir un peu d’inflation dans les [décorations] de Noël. Cela dépend des stratégies de chacun [des détaillants]. »