Les consommateurs ne sont visiblement pas tous passés de la parole aux actes au moment de faire leurs emplettes. En dépit des appels lancés par le gouvernement Legault pour stimuler l’achat local, notamment avec la création du Panier bleu, près de six Québécois sur dix (58 %) ont moins dépensé dans les PME depuis le début de la pandémie au profit des grandes surfaces et des géants du web. Or, 86 % des gens disent souhaiter en faire davantage pour encourager les commerces locaux.

C’est du moins ce qui ressort d’un sondage mené par Manu/Matchbox pour le compte de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), les 7 et 8 juin, auprès de 1507 répondants. À ce chapitre, le Québec ne fait pas bande à part. À l’échelle canadienne, près de 60 % des consommateurs ont délaissé les petites entreprises au profit des grandes surfaces. La Saskatchewan est la province où la proportion de gens ayant moins dépensé dans les PME est la plus faible avec 45 %, alors que l’Ontario arrive première avec 67 %. À noter que, pendant la pandémie, les restrictions d’ouverture et de fermeture des magasins ont varié d’une province à l’autre. En Ontario, les commerces non essentiels sont demeurés fermés jusqu’au 11 juin.

« Les première, deuxième et troisième vagues ont créé des barrières [empêchant] les consommateurs de pouvoir aller encourager leurs commerces locaux », souligne François Vincent, vice-président, Québec, de la FCEI, pour expliquer en partie cette préférence envers les grands magasins où l’on trouve de tout sous un même toit, comme Costco ou Walmart.

« Ces confinements-là privilégient l’action des consommateurs vers les géants du web (et les grandes surfaces) où ils se disent que c’est plus facile de tout trouver à la même place, ajoute-t-il. Il y a la recherche de la facilité : au lieu de faire trois arrêts, ils vont en faire un. Il y a peut-être une conception que le prix va être plus bas. Ce qui n’est pas vrai, on peut trouver des prix compétitifs dans les commerces locaux. »

Rappelons que, au printemps 2020, le gouvernement avait ordonné la fermeture des commerces considérés comme non essentiels comme les librairies et les magasins de vêtements. Les grandes surfaces qui vendaient de la nourriture telles que Costco ou Walmart étaient demeurées ouvertes. Certains petits commerçants avaient dénoncé ce qu’ils considéraient comme une concurrence déloyale puisque ces chaînes offrent bien d’autres types d’articles comme des livres, des vêtements et des outils. À la deuxième fermeture en décembre dernier, les grands magasins n’étaient plus autorisés à vendre des biens jugés non essentiels comme des traîneaux ou des patins. Ils devaient se limiter à la nourriture et aux produits d’hygiène.

Des campagnes de promotion efficaces ?

Il n’empêche que, avec les différentes initiatives, notamment le Panier bleu – une plateforme numérique qui répertorie les marchands québécois, lancée par le gouvernement Legault –, plus de la moitié de la population québécoise a préféré passer à la caisse des grandes surfaces et à celle des géants du web. Peut-on parler d’un échec ?

« Je ne pense pas que ce soit un échec », répond Billy Walsh, président du conseil d’administration de l’Association des sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM). « Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Ma perception, c’était qu’on était très loin en arrière », dit-il, sans toutefois pouvoir donner de chiffres pour appuyer son propos. « Le Panier bleu, c’était une super belle initiative dans un court laps de temps. Ça a permis à des commerçants de proximité de rattraper les gros joueurs. »

Interpellé sur cette question, Alain Dumas, directeur général du Panier bleu, n’était pas disponible pour une entrevue.

M. Walsh admet toutefois que les résultats du sondage l’ont surpris, étant donné le succès des différentes campagnes de sociofinancement dans les quartiers de la ville qui visaient à bonifier l’achat des consommateurs qui dépensaient dans leurs commerces de proximité. « Je pense qu’on a semé quelque chose dans l’esprit des gens. »

« Les gens, quand on pose la question “est-ce que l’achat local, c’est important ?”, ils nous répondent oui », rappelle pour sa part Jean-Guy Côté, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). « Il faut comprendre ce que l’on définit par achat local. Est-ce que c’est acheter le produit québécois dans une grande surface ou on achète un produit local dans un commerce local ? Il y a peut-être une question de définition à clarifier. »

Taper sur le clou

François Vincent soutient que les appels à l’achat local ont été entendus pendant la période des Fêtes, où les gens se sont tournés en grand nombre vers des commerçants d’ici pour acheter leurs cadeaux. « Il faut continuer. Ce n’est pas juste à Noël qu’il faut faire de l’achat local, tient-il à dire. On voit que la volonté est là. Maintenant, il faut passer à l’action. Je suis un éternel optimiste. C’est quand même 87 % des Canadiens qui disent qu’ils voudraient en faire plus pour aider leurs PME locales. »

« Le changement de comportement ne peut pas s’appuyer sur un outil promotionnel, ajoute pour sa part Billy Walsh. Il va venir dans une campagne de communication qui va être étalée dans le temps. »

« On doit aussi s’engager de façon collective, gouvernementale, dans un mouvement de changement de comportement collectif, un peu comme on l’a déjà vu dans des campagnes comme la vitesse au volant, l’alcool au volant, la ceinture de sécurité. On a été capables de changer des comportements au bénéfice de la communauté. »

Le retour à la « normale », avec la diminution des restrictions et l’ouverture des tours de bureaux, pourrait une fois de plus engendrer un changement dans la façon de consommer, croit Jean-Guy Côté. « Il y a des vieilles habitudes qui vont revenir quand ça va être possible de le faire. Je serais surpris que les gens continuent à acheter des vélos, à faire autant de sport et loisirs de façon aussi agressive dans les prochaines années [que pendant la pandémie]. »

Billy Walsh, quant à lui, craint que le déconfinement relègue l’achat local à l’arrière-plan dans les priorités des consommateurs. « J’ai peur que l’effet Panier bleu ou l’effet COVID fassent un peu comme l’effet du régime à Noël. Tout le monde est plein de bonne volonté quand arrive le 2 janvier. Au bout du compte [il y en a beaucoup] qui, au 1er février, vont abandonner les bonnes résolutions. Pour que cela n’arrive pas, il va falloir qu’on continue à taper sur le clou. »

Les PME en quelques chiffres

– 87 % des PME québécoises sont complètement rouvertes

– 47 % ont retrouvé leur niveau de ventes normal

– 58 % ont retrouvé tous les employés

– Le Québec est la province où la proportion de PME complètement rouvertes est la plus élevée. L’Ontario arrive en queue de peloton avec 62 %.

Source : FCEI