Après des années de déception, les astres s’alignent enfin pour le parc industriel et portuaire de Bécancour, propriété d’une société d’État provinciale.

Deux transformateurs de la filière des batteries au lithium-ion utilisées dans les véhicules électriques ont annoncé leur intention d’y construire leur usine. Les investissements se chiffrent à près de 1 milliard dans chacun des cas. Une zone d’innovation spécialisée sur la décarbonation pourrait s’y ajouter. D’autres acteurs de la filière des batteries, comme des celluliers, sont susceptibles de leur emboîter le pas.

Le Québec a un grand atout : il peut produire des batteries avec de l’énergie propre, attribut recherché par les industriels qui tentent de réduire leur empreinte carbone. Le gouvernement du Québec prévoit investir de 1 à 2 milliards de fonds publics pour développer la filière, de la mine au module de batteries, au cours des deux ou trois prochaines années avec de 4 à 6 milliards d’investissements privés.

Une étude de KPMG de 2019, commandée par Propulsion Québec, grappe des transports électriques et intelligents, ciblait d’ailleurs Bécancour parmi les sites à privilégier pour accueillir les acteurs de la filière.

Bécancour est située sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Trois-Rivières. « Cette ville est en voie de rapidement devenir l’une des plus importantes plaques tournantes de la filière industrielle des batteries en Amérique du Nord », a déclaré Arne H. Frandsen, président du conseil d’administration de Nouveau Monde Graphite, au début de juin, à l’occasion d’une mise à jour de son projet d’investissement au parc de Bécancour.

M. Frandsen est cofondateur de la société britannique Pallinghurst, actionnaire à la fois de Nouveau Monde Graphite et de Nemaska Lithium.

Nouveau Monde Graphite poursuit la mise en place d’une usine pilote de production de graphite sphérique purifié enrobé chez Olin, à Bécancour. Le graphite enrobé entre dans la fabrication d’anodes, le pôle négatif de la batterie au lithium-ion.

Une usine destinée à la production commerciale du produit est en planification. Pour l’heure, on y parle d’un investissement estimé à 700 millions et de la création d’au moins 150 emplois. À l’échelle de la région métropolitaine de recensement de Trois-Rivières (environ 160 000 habitants), c’est l’équivalent de 1875 nouveaux emplois dans l’agglomération de Montréal.

« Pourquoi s’est-on installés à Bécancour ? La proximité avec le producteur de chlore Olin avec lequel on purifie le graphite sphérique a pesé dans la décision, répond Julie Paquet, vice-présidente Communications et Stratégie ESG de la société cotée en Bourse. Le transport sécuritaire des produits chlorés est un enjeu. Notre future usine commerciale sera approvisionnée par tuyaux à partir de l’usine d’Olin. »

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Nemaska Lithium a choisi Bécancour pour l’installation de son usine d’hydroxyde de lithium.

Début juin, Nemaska Lithium a annoncé à son tour son intention de s’installer à Bécancour pour produire de l’hydroxyde de lithium en 2024-2025, un projet de près de 1 milliard. À l’origine, l’usine devait être construite à Shawinigan. L’hydroxyde de lithium entre dans la fabrication de cathodes, pôle positif de la batterie au lithium-ion de grande capacité.

Réveil économique

Alors qu’il manque de terrains industriels à bâtir un peu partout au Québec, l’immense frange industrielle de 7000 hectares à Bécancour reste encore inoccupée à 55 %, plus de 50 ans après sa création en 1968. « La société du parc a des services exceptionnels (port en eau profonde, voies ferroviaires, capacité portante, desserte en gaz naturel) qu’on ne retrouve pas souvent ailleurs, explique au téléphone Maurice Richard, PDG de la société qui gère le parc industriel. Dans le domaine du développement des batteries, un des endroits répond à la totalité des critères dont ils ont besoin quand vient le temps de s’implanter, c’est ici. »

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L’immense frange industrielle de 7000 hectares à Bécancour reste encore inoccupée à 55 %.

Selon ses dires, la région de Trois-Rivières–Bécancour connaît un réveil économique. Un constat partagé par Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’École de gestion de l’UQTR. « Je compile un indicateur composite de performance économique entre les régions administratives. En cinq ans, nous sommes passés du dernier rang sur 17 régions, à égalité avec la Gaspésie, au 13rang », dit-il lors d’un entretien.

M. Laurin mentionne aussi l’émergence d’un pôle de technologies vertes composé d’une trentaine d’entreprises et de cinq à six centres de recherche en Mauricie et dans le Centre-du-Québec.

De son côté, le maire de Bécancour, Jean-Guy Dubois, fonde beaucoup d’espoirs sur l’implantation prochaine d’une zone d’innovation sur la décarbonation de la grande entreprise et le développement des batteries. La région a reçu 400 000 $ de Québec pour peaufiner le plan d’affaires de la zone. Dans l’ensemble du Québec, 13 projets de zone d’innovation ont été retenus à ce stade avancé du processus sur la cinquantaine de projets déposés.

On n’a pas été gâtés dans les 10 dernières années. On a presque eu plus de pertes d’emplois que de gains. On est en train de se relever. [Le développement de la filière des batteries] arrive à un bon moment. Nous sommes prêts à recevoir ces gens-là.

Jean-Guy Dubois, maire de Bécancour

Dossiers à suivre

En rencontre avec La Presse la semaine dernière, le patron d’Investissement Québec (IQ), bras investisseur du gouvernement provincial, Guy LeBlanc, a dit souhaiter faire des annonces d’ici la fin de l’année. Parmi les dossiers à suivre, la société BritishVolt, qui assemble des cellules pour les batteries au lithium-ion, discute avec les pouvoirs publics en vue de construire une usine au Québec. Selon TVA Trois-Rivières, son président Orral Nadjari se serait déplacé en hélicoptère au-dessus de Bécancour pour examiner les terrains.

Dans le domaine du recyclage des batteries cette fois, la québécoise Recyclage Lithion veut lancer une usine commerciale en 2022-2023. Depuis 2019, elle exploite une usine modèle à Anjou. Elle vient de conclure une entente avec Nouveau Monde Graphite pour la valorisation du graphite recyclé en vue de sa réutilisation comme matériel d’anode de batteries au lithium-ion.

Est-ce à dire que les prochains investissements atterriront à Bécancour ? « Bécancour a été choisi par Nouveau Monde Graphite et par Nemaska, a répondu M. LeBlanc, se défendant bien d’imposer quelque site que ce soit. Si je suis fabricant de cathodes, j’ai besoin de lithium ; si je suis un cellulier, j’ai besoin d’anodes et de cathodes. Si je suis un cellulier, il est possible que j’aille me positionner à un endroit géographique qui n’est pas trop éloigné. »