Ça commence à sentir la rentrée dans les bureaux. Le télétravail, quoique toujours recommandé en zone jaune, n’est plus obligatoire. Le masque médical en tout temps non plus dans les lieux de travail qui ont instauré la distanciation ou installé une barrière physique. Mais au-delà du plexiglas, c’est tout l’aménagement de l’espace qui est en train d’être repensé.

Vidés de leur mobilier et de leur personnel, les bureaux que la firme d’avocats McCarthy Tétrault occupe sur la mezzanine du 1000 De La Gauchetière, au centre-ville de Montréal, seront bientôt méconnaissables. Derrière la réception complètement repensée, un superbe bar accueillera clients et employés, qui pourront y commander un café préparé par un barista. L’ancienne cafétéria donnant sur une terrasse deviendra un bel espace polyvalent dont le mobilier sera réorganisé en fonction des évènements. Les très nombreuses salles de réunion auront l’équipement audiovisuel nécessaire pour y donner aussi des formations ou tenir d’autres types de rencontres.

« On a cherché à définir un milieu de travail qui va inciter les gens à venir au bureau, à se voir », résume Karl Tabbakh, associé directeur, région du Québec.

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Karl Tabbakh, associé directeur, région du Québec, dans les anciens bureaux de McCarthy Tétrault au 1000 de la Gauchetière.

Lorsque l’état d’urgence a été décrété, le 13 mars 2020, McCarthy planchait déjà sur le réaménagement de ses bureaux, dont elle venait de renouveler le bail pour 16 ans. Mais elle prévoyait alors deux réceptions, l’une à la mezzanine pour les évènements et séminaires, l’autre au 19e étage, pour les clients habitués au prestige des bureaux en hauteur dotés d’une vue spectaculaire. La pandémie a changé les perspectives.

L’idée est de donner une expérience-client innovatrice plutôt que traditionnelle, beaucoup plus interactive, attirante, multimode, mobile, où les gens vont pouvoir travailler à plusieurs endroits.

Karl Tabbakh, associé directeur, région du Québec, pour la firme d’avocats McCarthy Tétrault

Les étages 16 à 19 de la tour seront réservés aux employés. Les aménagements déjà prévus y sont plus que jamais d’actualité. En particulier l’escalier propice aux rencontres informelles qui reliera les quatre niveaux, dont la cafétéria lounge, au 17e, et le centre de ressources, au 18e, dans un esprit rappelant un peu ce qu’on peut voir dans des agences ou firmes plus technos.

« On vient ajouter cette convivialité qui va permettre d’être un peu au naturel », explique Maria Briceño, designer d’intérieur de la firme ACDF architecture, qui réalise le projet avec l’australienne BVN. « Je pense que tout le monde va être un peu plus ouvert ou enclin à ça dans toutes les industries, après avoir vu la bibliothèque, la tapisserie ou les enfants des gens avec qui ils sont en conférence téléphonique », prédit l’architecte Joan Renaud, associé d’ACDF.

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Joan Renaud, architecte, et Maria Briceño, designer d’intérieur, de la firme ACDF

Moins, mais mieux

Le retour au bureau après plus de 15 mois d’absence suscite d’intenses réflexions chez les gestionnaires. La semaine dernière seulement, au moins deux évènements (l’un organisé conjointement par Infopresse et Index-Design, l’autre par l’Institut de développement urbain) portaient sur l’aménagement des espaces en vue du mode hybride.

« Il faut se poser la question : pourquoi j’irais au bureau ? », lance Mélanie Boivin, directrice du département de design intérieur chez ADHOC Architectes et conférencière à Infopresse. « Il faut le voir davantage comme un carrefour, un lieu de rencontres. »

S’il se fait deux fois moins de travail individuel et deux fois plus de travail collaboratif au bureau, les besoins ne seront plus les mêmes. « Idéalement, il faudrait qu’il y ait plus de sièges pour les rencontres que de sièges à des postes de travail individuels. »

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Mélanie Boivin, directrice du département de design intérieur chez ADHOC Architectes

Faut-il conserver un modèle traditionnel, où chaque employé a un poste assigné ? Ou opter pour un modèle basé sur l’activité, où une grande variété de postes de travail est offerte en libre-service ? Ou une combinaison des deux ?

« Même une entreprise qui a des bureaux complètement fermés est capable de s’adapter à un mode relativement hybride en les mettant en libre-service avec un système de réservations », note Mme Boivin. « La dimension d’un bureau fermé standard, qui est d’environ 120 pieds carrés, fonctionne très bien pour une salle de conférence de six personnes. » D’autant, souligne-t-elle, que les trois quarts des réunions se font à quatre personnes ou moins.

Avec le télétravail, il est possible qu’un poste pour deux ou trois employés suffise.

On peut en profiter pour faire une meilleure qualité d’espace afin que les gens se déplacent. Moins, mais mieux.

Mélanie Boivin, directrice du département de design intérieur chez ADHOC Architectes

Après cette quinzaine de mois à travailler chez soi, des tendances déjà présentes avant la pandémie (flexibilité, look et confort résidentiels, végétation et rappels de la nature) risquent de gagner en popularité. Mais avant d’investir dans un lounge, une table de ping-pong ou un poste muni d’un tapis roulant que personne n’utilisera, sondez les employés, conseille Mme Boivin. « J’aurais tendance à louer les choses pendant un certain temps pour faire des tests. Si ce n’est pas concluant, au moins, on n’aura pas fait la dépense. »

Bâtir moins, installer plus

Chez McCarthy Tétrault, les bureaux fermés ont été conservés, mais un peu rapetissés. « J’ai été le premier à le dire : je n’ai pas besoin des divans que j’ai dans mon bureau », souligne M. Tabbakh. Ces bureaux fermés auront désormais tous la même taille. Et tout le personnel, avocats et associés inclus, aura le même fauteuil ergonomique, ainsi qu’un bureau ajustable en hauteur.

Les deux premiers étages de la tour sont attendus cet automne, et l’ensemble du projet devrait être livré au printemps prochain. Chacun aura un poste de travail assigné, mais la firme est consciente que le télétravail pourrait créer un vide dans ses beaux espaces. Ce n’est donc pas seulement le mobilier, mais les bureaux eux-mêmes qui seront modulables. « On peut installer quatre murs et un toit, et ça devient un bureau qui a exactement la même configuration que les autres sans avoir à casser du Gyproc ou à bâtir », dit M. Tabbakh. « Comme on ne sait pas ce qui va arriver, on a utilisé un principe fondamental avec les architectes : bâtissons moins et installons plus. »