Annick Guérard n’est aux commandes que depuis deux semaines chez Transat A.T., mais c’est à elle que revient la lourde tâche de préparer le nouveau décollage du voyagiste québécois. Pourtant, elle a tout sauf l’impression de se jeter dans la gueule du loup.

Identifiée comme l’éventuelle remplaçante de Jean-Marc Eustache, la gestionnaire, qui était cheffe de l’exploitation depuis novembre 2017, a vu le processus de succession chamboulé par le mariage raté entre Transat A.T. et Air Canada ainsi que par la pandémie de COVID-19.

Malgré les turbulences, les doutes soulevés sur l’avenir du voyagiste et des avions cloués au sol depuis la fin janvier, Mme Guérard dit ne jamais avoir songé à quitter l’appareil.

« Ç’a été une période très difficile pour les équipes, mais je connais très bien les activités », a dit la présidente et cheffe de la direction de Transat A.T., jeudi, lors d’une entrevue avec La Presse en marge du dévoilement des résultats du deuxième trimestre.

« J’ai dirigé le plan stratégique que nous sommes en train de mettre en place », a expliqué Mme Guérard, première femme au Canada à occuper un tel poste dans le milieu des compagnies aériennes.

Au moment où l’entreprise anticipe une reprise partielle des activités aériennes le 30 juillet, Annick Guérard souhaite voir le gouvernement Trudeau préciser ses intentions à l’endroit des règles pour les voyageurs internationaux. Elle a aussi annoncé ses couleurs en enterrant le projet de chaîne hôtelière dans les destinations soleil, au cœur du dernier plan stratégique, mais qui semblait désormais improbable.

Et avec la possibilité d’emprunter jusqu’à 700 millions grâce à son entente avec Ottawa, la dirigeante de Transat A.T. estime que l’entreprise a les reins assez solides pour atteindre les cibles de son plan stratégique qui doit s’échelonner jusqu’en 2026. Toutefois, elle juge devoir patienter jusqu’en 2023 avant de renouer avec le niveau d’activité observé avant la crise sanitaire.

Changement de vecteur

Le voyagiste misera désormais sur les voyages aériens d’agrément et mettra l’accent sur l’est du Canada – le Québec, l’Ontario et les Maritimes – et sur des vols à destination des États-Unis. L’entreprise veut aussi miser sur un réseau de liaisons intérieur vers les provinces de l’Ouest canadien, continuer d’offrir des vols internationaux et conclure des alliances avec d’autres transporteurs. L’effectif de 850 employés devrait croître grâce à des rappels qui n’ont pas été précisés.

Avec la pandémie, tout le monde se retrouve un peu sur la ligne de départ. Nous sommes bien établis vers l’Europe et les destinations soleil. L’idée est d’accroître notre présence dans le marché [intérieur] et du côté transfrontalier.

Annick Guérard, présidente et cheffe de la direction de Transat A.T.

Le voyagiste continuera d’offrir des forfaits vacances, mais Mme Guérard a répondu qu’il n’y avait « rien de tabou » lorsqu’elle a été invitée à dire si certaines activités pourraient être vendues.

Afin d’économiser plusieurs « dizaines de millions de dollars », Transat A.T. retirera deux modèles de sa flotte et n’exploitera que des Airbus A330 et A321neo. En hiver, le voyagiste ne louera plus d’appareils. La superficie du siège social montréalais a également été réduite de moitié, de 12 à 6 étages.

Pour l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek, on pourrait juger « assez rapidement » du succès de la nouvelle stratégie de Transat A.T. « Les créneaux de l’entreprise intéressent d’autres acteurs comme Air Canada, WestJet et même d’autres transporteurs comme Flair, dit-il, au bout du fil. Transat fera face à beaucoup de concurrents. »

Une entente ou pas ?

Si elle est à la recherche d’alliances commerciales, Mme Guérard affirme qu’il n’y a pas de « pancarte à vendre » devant la porte de Transat A.T. Cela n’empêche toutefois pas la société de continuer à discuter avec Pierre Karl Péladeau, qui semblait avoir renoncé à conclure une transaction.

La dirigeante s’est toutefois montrée avare de commentaires en se limitant à dire que chaque fois qu’il y avait de l’intérêt, le conseil d’administration avait le devoir d’évaluer ce qui était présenté. Elle n’a pas voulu dire si d’autres prétendants s’étaient manifestés.

Le mois dernier, l’actionnaire de contrôle de Québecor avait toutefois affirmé ne plus vouloir acquérir Transat A.T., en évoquant le refus de son plus important actionnaire, Letko, Brosseau & Associés, d’accepter une offre de 5 $ l’action. Jeudi, M. Péladeau n’avait pas formulé de commentaires.

À la Bourse de Toronto, l’action du voyagiste a clôturé à 5,75 $, au-delà du prix proposé par M. Péladeau. « Nous ignorons à quel point les échanges sont sérieux, mais nous croyons peu probable qu’une offre supérieure à 5 $ l’action soit présentée », estime l’analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, dans une note.

Au deuxième trimestre terminé le 30 avril, où ses avions étaient cloués au sol, le voyagiste a affiché une perte nette d’environ 68 millions, ou 1,84 $ par action.

À la même période il y a un an – au début de la pandémie –, la perte nette s’était chiffrée à 179,5 millions, ou 4,76 $ par action. Les revenus ont dégringolé à 7,6 millions, par rapport à 563,7 millions l’an dernier.