L’entrée en force d’Hydro-Québec avec sa filiale Hilo dans la domotique résidentielle a écarté les entreprises déjà présentes sur ce marché et pourrait bientôt faire sa première victime.

CaSA Appareils Connectés est au bord du gouffre. « On s’est fait retirer notre raison de vivre, lance son cofondateur Martin Fassier. On est outrés de s’être fait passer sur le corps par une entreprise publique. »

L’entreprise de Saint-Mathieu-de-Belœil, qui existe depuis 2014, a lancé au gouvernement québécois un appel à l’aide resté sans réponse. « Sans assistance financière de Québec, les actionnaires de CaSA n’auront d’autres choix que de déposer le bilan », a écrit la direction de l’entreprise aux ministres à vocation économique du gouvernement Legault.

CaSA a développé une technologie de contrôle de la demande électrique résidentielle qui en a fait une star montante de Québec inc… jusqu’à l’arrivée d’Hilo avec ses gros sabots, explique Martin Fassier, lors d’un entretien avec La Presse. « La décision d’Hydro-Québec d’investir ce marché est un désaveu catastrophique de l’expertise et du savoir-faire québécois », affirme-t-il.

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Martin Fassier, cofondateur de CaSA Appareils Connectés

Le cofondateur de CaSA n’est pas le seul à se plaindre. Plusieurs entreprises qui cultivaient ce marché depuis des années sont en furie de s’être fait couper l’herbe sous le pied par Hydro-Québec. Une plainte a été déposée au Bureau de la concurrence pour abus de position dominante. Devant la Régie de l’énergie, plusieurs groupes contestent la légalité d’Hilo, une entreprise privée et non réglementée qui entend jouer un rôle pivot dans la manière dont l’énergie est consommée par les Québécois sans rendre de comptes à personne.

Une entente d’exclusivité

Hilo, filiale à 100 % d’Hydro-Québec, s’est associée à une seule entreprise, Stelpro, qui fabrique des thermostats et des appareils de chauffage électriques (plinthes, planchers chauffants), pour offrir des services de modulation de la demande d’électricité.

Leur coentreprise s’appelle Stello. Les clients qui le souhaitent peuvent aider Hydro-Québec à mieux gérer les périodes de forte consommation en hiver. Ils reçoivent en contrepartie des « récompenses » en argent qui, l’hiver dernier, ont atteint en moyenne 124,54 $ par participant.

Hilo est une entreprise qui fera des profits en partie avec la vente des appareils connectés de Stello, mais surtout avec la consommation évitée en période de pointe, pour laquelle Hydro-Québec paiera parce que ça lui évitera de construire de nouvelles installations pour quelques heures d’utilisation par année. C’est une des nouvelles avenues de croissance pour la société d’État, qui s’est engagée à augmenter ses revenus alors que la consommation d’électricité stagne.

Son président, Sébastien Fournier, est conscient du choc que représente l’arrivée d’Hilo pour les entreprises dans le marché. « Nous leur avons toutes parlé pendant le processus [qui a conduit à la création d’Hilo] », explique-t-il à La Presse.

La création d’une filiale offrait plus de flexibilité, et le recours à un appel d’offres pour trouver des fournisseurs n’était pas une façon sécuritaire de faire les choses, a conclu la société d’État.

Il y a des considérations technologiques et de complexité réseau qui n’existent pas ailleurs. C’était important pour la sécurité, au moins pour le début, de ne pas l’ouvrir à des produits tiers.

Sébastien Fournier, président d’Hilo

« On ne pouvait pas partir le projet en étant complètement ouvert », assure Sébastien Fournier, d’où l’entente d’exclusivité avec Stelpro.

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Sébastien Fournier, président d’Hilo

Éventuellement, Hilo pourra ouvrir sa plateforme aux autres entreprises du secteur, même si une partie de ses profits viendra de la vente d’équipements de Stelpro ou d’autres entreprises associées. « Notre intérêt, c’est d’entrer dans les maisons, c’est le kilowatt, peu importe avec quel équipement », assure Sébastien Fournier.

Cette ouverture est prévue pour la fin de 2022. Pour CaSA, il sera peut-être trop tard. L’entreprise, qui a déjà employé une trentaine de personnes et qui a eu comme clients BC Hydro et Hydro-Sherbrooke, ne survivra peut-être pas jusque-là. « CaSA, c’était Hilo avant Hilo », se désole Martin Fassier.

Au Groupe Ouellet, fabricant d’appareils de chauffage établi à L’Islet depuis 1961, l’inquiétude règne aussi. « Stelpro est notre plus gros compétiteur », explique Martin Beaulieu, un des actionnaires majoritaires de l’entreprise familiale.

Avec Hydro-Québec, il a un accès privilégié au marché de chauffage du Québec. « C’est le plus gros marché de chauffage électrique au monde, souligne le dirigeant. L’arrivée d’Hilo nous a déstabilisés. De plus en plus, les appareils de chauffage ont des thermostats à bord. Est-ce que notre concurrent aura droit à des fonctionnalités exclusives ? À des subventions ? Où va être notre place ? »

Être exclue du marché québécois aura un impact sur les activités de Sinopé, de Saint-Jean-sur-Richelieu (fondée en 2010), également, qu’Hydro-Québec a d’ailleurs voulu acheter avant de créer Hilo. Les négociations se sont rendues loin, mais n’ont pas abouti, dit son président et fondateur François Houde. Même si la société d’État appréciait son produit au point de vouloir acheter l’entreprise, les thermostats de Sinopé ne peuvent se connecter à la plateforme Hilo, qui n’accepte que ceux de Stelpro. « Je trouve ça dégueulasse comme concurrence, dit-il. Ça ne se justifie pas pour un monopole d’État. Ça fait mal, c’est déloyal, mais nous, contrairement à d’autres, on va survivre. »