L’indiscrétion en politique peut tout faire échouer.

La discrétion en politique est une variable stratégique malheureusement pas toujours assumée ni bien comprise par tous. Insouciance, ambition mal placée ou bêtise humaine ? Je ne sais pas. Il reste que l’indiscrétion peut faire tout déraper en politique avec des conséquences désastreuses à court et à long terme pour tous et toutes.

J’en ai été témoin, dans les années 1970, quand le Québec et les provinces Atlantiques étaient sur le point de s’entendre sur le harnachement des basses chutes de la rivière Churchill. On parle de Muskrat Falls aujourd’hui. L’histoire m’est revenue à l’esprit en lisant la chronique de Francis Vailles du 30 mai dernier.

Peu de Québécois et de Québécoises savent ou se rappellent qu’en 1975, à la suggestion du président d’Hydro-Québec, Rolland Giroux, le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, avait réuni les premiers ministres des provinces de l’Atlantique pour leur proposer une interconnexion entre elles. L’objectif du Québec était de développer « les basses chutes Churchill » au bénéfice de toutes ces provinces.

Un groupe de travail a alors été créé, regroupant les spécialistes des entreprises d’électricité de toutes les provinces (Terre-Neuve, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Québec). Étant chef de groupe des choix d’investissements à la direction de la recherche économique d’Hydro-Québec, j’ai été nommée coordonnatrice de ce groupe de travail. Avec l’appui d’une firme d’ingénierie de Montréal, nous avons remis notre rapport au printemps 1976. Il présentait les options, les coûts et les échéanciers pour sa réussite.

Les recommandations concernant le harnachement des basses chutes Churchill et les interconnexions en découlant ont été acceptées par tous les membres du groupe de travail et remises à leur premier ministre respectif.

Les premiers ministres des provinces ont par la suite été conviés à Québec dans le but de montrer leur solidarité et d’annoncer ensemble « leur » projet.

Le matin de leur réunion préparatoire à l’annonce dans la salle du Conseil des ministres du Québec, un journal de Québec publiait, en primeur, une entrevue avec le ministre de l’Énergie du Québec annonçant le développement des basses chutes Churchill.

Imaginez-vous la réaction du premier ministre de Terre-Neuve de l’époque ! Il était dans tous ses états. Il a affirmé dès l’ouverture de la réunion qu’il lui était maintenant impossible d’accepter de s’engager dans ce projet. Sa population n’ayant pas encore été préparée pour « relever » ce défi, elle ne l’accepterait jamais de cette manière. Faut-il rappeler que, quoi qu’on en pense, les chutes Churchill ne sont pas sur le territoire du Québec !

Inutile de dire que la réunion a été de courte durée et que tous les participants sont rentrés chez eux déçus et furieux contre le Québec. Comme coordonnatrice de ce grand projet, j’ai été témoin de la déception qui se lisait sur les visages des participants. Au fil des ans, j’ai vu grandir les rancunes envers le Québec dans le dossier de l’électricité.

La population de Terre-Neuve en veut encore beaucoup au Québec par manque de connaissances et de compréhension du premier développement des chutes Churchill. Le fameux contrat dit de « Churchill Falls ». Churchill Falls n’aurait jamais pu se faire sans la force financière d’Hydro-Québec ni son expertise. Nous le savons. Mais cela n’est pas reconnu par la population de Terre-Neuve. Malheureusement, en politique comme ailleurs, on ne peut pas revenir en arrière.