Il se passe vraiment quelque chose. Du jamais vu, qui permet d’avoir espoir.

La semaine dernière, les entreprises pétrolières américaines Chevron et Exxon Mobil se sont fait taper sur les doigts pour leur manque d’ambitions à réduire leurs émission de gaz à effet de serre (GES).

Et qui donc leur a reproché de se traîner les pieds ? Non, ce n’est pas Greenpeace. Ni la Suédoise Greta Thunberg. Ni les autorités gouvernementales d’un pays dirigé par les Verts. Cette fronde, elle vient des actionnaires de ces entreprises.

Pardon ? Oui, oui, les actionnaires, ces investisseurs dont l’objectif principal est de faire de l’argent avec leurs placements.

Le 26 mai, les actionnaires de Chevron ont voté à plus de 60 % pour une proposition demandant à l’entreprise de réduire les émissions de carbone engendrées par l’utilisation de ses produits.

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

La semaine dernière, les entreprises pétrolières américaines Chevron et Exxon Mobil se sont fait taper sur les doigts pour leur manque d’ambition à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le même jour, le concurrent Exxon s’est fait imposer par les actionnaires de nommer au moins deux membres proréduction des émissions de GES à son conseil d’administration. L’objectif est, entre autres, de forcer l’entreprise à ajuster sa stratégie pour répondre aux exigences de réductions majeures de GES d’ici 30 ans, commandés par les autorités mondiales.

C’est la première fois qu’Exxon se voit imposer des administrateurs de l’externe.

Les évènements chez ces deux entreprises — soutenues par des investisseurs institutionnels — sont extraordinaires. Surtout quand on connaît l’apathie habituelle des actionnaires dans les assemblées annuelles, qui se contentent souvent d’approuver les propositions de la direction sans coup férir.

Chevron et Exxon ne sont pas des bineries. Les revenus annuels de Chevron atteignent 159 milliards de dollars américains et ses profits, près de 15 milliards. La multinationale produit du pétrole un peu partout dans le monde, notamment au Canada, entre autres dans la région de Fort McMurray, avec les sables bitumineux d’Athabasca.

De son côté, Exxon Mobil (Esso) a habituellement des revenus de 250 milliards US, revenus qui ont chuté à 179 milliards en 2020 avec la pandémie, ce qui a transformé ses profits en pertes de 22,4 milliards. Elle est, elle aussi, bien présente au Canada.

Le carburant de ces deux entreprises, bien entendu, produit énormément de GES, lors de l’extraction, mais surtout quand les automobilistes en consomment. Cette essence contribue à réchauffer la planète, avec des conséquences dramatiques bien documentées.

Pour ces entreprises, réduire les émissions de GES voudrait notamment dire diminuer leur production de pétrole et donc réduire leurs profits. À moins, bien sûr, de hausser en parallèle leur production d’énergie renouvelable.

Pourquoi alors ce vote des actionnaires ? C’est que les exigences des divers pays à atteindre la cible de zéro émission en 2050, notamment promue par Joe Biden, inquiètent les investisseurs quant à l’impact de ces exigences sur la chute des profits futurs des pétrolières.

Ne rien faire — ou ne pas en faire assez — n’est plus une option. Et cette dynamique est tout à fait nouvelle.

Il faut dire que la pression vient de partout. Cette même journée du 26 mai, un tribunal de La Haye, aux Pays-Bas, a ordonné à la multinationale Shell de réduire ses émissions de GES de 45 % d’ici 2030 et de se conformer ainsi à l’accord de Paris. Wow !

C’est la première fois qu’un juge donne raison à ce genre d’actions judiciaires de groupes environnementalistes sur les milliers qui ont été intentées (1400 seulement aux États-Unis).

Shell promettait de réduire de 45 % d’ici 2035 l’intensité de ses émissions de GES et même de 100 % d’ici 2050. Mais pour le tribunal, réduire l’intensité n’est pas suffisant. Il faut une réduction absolue de 45 %.

L’intensité est le niveau de carbone produit par baril de pétrole. Même en diminuant l’intensité, un producteur peut continuer à produire davantage de GES s’il augmente sa production.

La bataille des environnementalistes n’est pas gagnée pour autant.

D’une part, pour Shell, réduire ainsi le niveau absolu de GES signifie atrophier les affaires. La direction portera donc la décision en appel et il est loin d’être acquis que les tribunaux supérieurs la confirmeront. Ni que cette décision entraîne les autres tribunaux dans le monde sur la même voie.

D’autre part, la diminution des émissions de GES — et donc de la production de pétrole — imposée en quelque sorte aux trois géants pétroliers occidentaux fait l’affaire de ses concurrents. Les producteurs de Russie (Gazprom, Rosneft), d’Arabie saoudite (Saudi Aramco) et d’Abou Dhabi (ADNOC) combleront avec joie ces reculs des pétrolières occidentales.

Sachant que ces concurrents de Russie et de l’OPEP produisent 40 % du pétrole mondial, comparativement à 15 % pour les pétrolières occidentales, les évènements hors normes du 26 mai sont loin d’être fatals pour le pétrole.

D’autant que sans contraintes, certains pays continueront de satisfaire les consommateurs et d’abreuver leurs voitures d’essence pendant des années.

LISEZ l’article de l’agence Reuters sur la Russie et l’OPEP (en anglais)

Mais pour l’instant, réjouissons-nous : les exigences de certains grands pays, notamment des États-Unis, commencent à avoir des effets sur certaines grandes pétrolières. Et cette nouvelle dynamique nous permet de nourrir l’espoir.