La nuit de jeudi à vendredi a été courte pour de nombreux producteurs qui ont tenté par tous les moyens de protéger leurs champs de la froidure, inhabituelle pour cette période de l’année, observent-ils. Certains ont déjà subi des dommages et appréhendent les nuits à venir.
« On n’a pas dormi ben, ben… », a lancé spontanément Stéphane Lamarre, copropriétaire du vignoble Château de cartes à Dunham, lorsque La Presse lui a demandé quel genre de nuit il avait passé. Dans certaines régions du Québec, le mercure est passé sous la barre du point de congélation dans la nuit de jeudi à vendredi et on prévoyait un scénario semblable pour celle de vendredi à samedi.
« Les réseaux sociaux se sont fait aller toute la nuit, raconte M. Lamarre. Entre vignerons, on se textait toutes les 10 minutes. » Chacun échangeait sur les mesures à prendre pour protéger sa culture. Sur son vignoble, il a installé des systèmes de gicleurs et allumé des feux pour préserver ses vignes. Il affirme qu’un peu moins de 20 % du total de sa culture a été endommagé. Résultat : il produira moins de bouteilles l’an prochain, une mauvaise nouvelle pour ce producteur qui peine déjà à répondre à la demande.
« Je peux déjà dire qu’il va y avoir moins de vin gris l’année prochaine. La parcelle touchée était destinée à faire à presque 100 % le vin gris. À l’œil, je sais qu’il va y avoir une bonne perte sur cette parcelle-là. » Son vin gris est produit avec des raisins noirs pressés en grappes entières comme pour faire du vin blanc. On le présente comme un rosé.
« Ça fait beaucoup de bouteilles de moins, poursuit M. Lamarre. Mais il y a une limite à augmenter les prix. Donc c’est sûr que ça joue directement dans le profit. Mais c’est ça, faire de l’agriculture. Il faut prendre ce que la nature veut bien nous donner. »
À près d’un kilomètre de là, au vignoble de l’Orpailleur, le cofondateur Charles-Henri de Coussergues affirme que la froidure de la nuit lui a fait perdre 15 % de la totalité de son vignoble. « À 3 h du matin, on a parti les ventilateurs, raconte-t-il. Mais on a quand même eu des dommages. Ce n’est pas catastrophique, mais on a quand même perdu un peu de raisins, ça, c’est sûr. »
Les ventilateurs, sortes d’éoliennes qui tournent sur 360 degrés, permettent d’aller chercher l’air chaud qui est en hauteur et de chasser l’air froid au niveau du sol. « On peut gagner deux degrés et c’est souvent ce qu’il faut pour passer à travers le gel », explique M. de Coussergues. Mais cette fois-ci, ce ne fut pas suffisant pour tout sauver.
Dans la crainte de la « deuxième nuit »
Dans la même région, au Domaine l’Espiègle, le propriétaire Zaché Hall était sur le terrain à 2 h du matin pour allumer des feux dans le but de préserver ses vignes. Sa nuit blanche a porté ses fruits, mais, interrogé en après-midi vendredi, il disait appréhender la nuit à venir. « Ma production est sauve, mais on craint la prochaine nuit », confie-t-il.
L’inquiétude était la même du côté de l’Orpailleur. « C’est souvent la deuxième nuit qui est la plus mauvaise, soutient Charles-Henri de Coussergues en se basant sur ses 39 années d’expérience dans le domaine viticole. La prochaine nuit, on va surveiller. »
Les fraises aussi
Par ailleurs, le gel a également nui au sommeil de certains producteurs de fraises dont les plants en fleurs sont particulièrement fragiles. Donald Pouliot, copropriétaire de la Ferme Donabelle à Coaticook, a passé la journée de jeudi à installer des toiles pour protéger ses champs. « À 3 h du matin, ça a commencé à geler, raconte-t-il. À 4 h, c’était à - 2,5 °C. »
Près de 20 % de sa production de fraises d’été a subi des dommages.
« Pour nous, toutes les pertes sont considérables, souligne-t-il. Les coûts de production sont rendus tellement élevés que chaque fois qu’on a une petite épreuve comme celle-là [c’est difficile]. »
Les producteurs interrogés ont tous affirmé qu’ils pourraient évaluer toute l’étendue des dégâts d’ici quelques jours.