Le maire de Mont-Royal vient d’expulser de son équipe deux conseillers municipaux, dont son dauphin politique, en raison de leur position sur le projet Royalmount.

Cette « crise majeure » dans la petite municipalité cossue risque de repousser encore davantage le titanesque et controversé chantier, paralysé depuis plus d’un an à l’intersection des autoroutes 15 et 40.

C’est l’inclusion de milliers de condos dans les plans du promoteur Carbonleo qui suscite la controverse, alors que le Royalmount était initialement conçu comme un centre commercial. Le changement de zonage a été approuvé par la Ville de Mont-Royal pour la première version du projet (sans condos), mais pas encore pour la seconde version (avec 3250 condos).

Avant que les élus de la petite ville défusionnée ne se prononcent sur l’idée, le maire Philippe Roy a voulu organiser une consultation publique le 1er juin prochain. Trop précipité, lui ont répondu son bras droit et candidate à la mairie, Michelle Setlakwe, ainsi que le conseiller Jonathan Lang.

« Le moment choisi n’est – selon moi – pas propice », a dit Mme Setlakwe à la dernière réunion du conseil municipal. « Il reste des éléments d’information à préciser afin de présenter un dossier complet aux résidants. » À Mont-Royal, où les débats entre les sept élus se font derrière des portes closes avant les séances du conseil, de tels propos semblent équivaloir à une déclaration de guerre.

Mardi matin, Mme Setlakwe a eu la surprise d’apprendre dans le journal local son expulsion du caucus. « La discussion et les désaccords sont toujours présents et encouragés au sein de l’équipe des élus, mais une tradition importante au conseil municipal de Mont-Royal est de les tenir au caucus d’élus, en privé et à huis clos, indique le communiqué. Les deux conseillers ont brisé cette tradition, et du même coup ils ont perdu la confiance de leurs collègues. »

Le « plus important changement de zonage de l’histoire »

En entrevue avec La Presse, Mme Setlakwe s’est dite abasourdie par la décision des autres élus, notamment de son mentor politique Philippe Roy, qui l’a pourtant appuyée dans la course à la mairie.

Sur le fond du débat, la conseillère municipale souligne que Royalmount risque de changer à tout jamais le visage de Mont-Royal. Un « dossier étoffé » d’études devrait être rendu public avant que la population ne se prononce, a dit l’élue. Elle a ajouté qu’avec l’imminence des élections municipales, c’est la prochaine administration qui devrait gérer ce dossier.

« On parle ici du plus important changement de zonage de l’histoire de Ville Mont-Royal », a continué Mme Setlakwe, loin d’être une partisane enthousiaste du projet.

Le maire Roy, pour sa part, appuie la construction du Royalmount. En entrevue, il convient toutefois que la « fenêtre est étroite » pour un changement de zonage permettant la construction de condos avant les élections municipales de novembre. Il a d’ailleurs décidé de repousser la consultation prévue le 1er juin, compte tenu de la « crise majeure » actuellement traversée par la municipalité. « Notre vision à nous, on parle de 3250 portes maximum, a-t-il dit. C’est notre top à nous. »

Le chantier du projet Royalmount a stoppé avec la pandémie de COVID-19 et n’a jamais repris, a confirmé à La Presse le promoteur Carbonleo, par la voix de sa chargée de communication Alexandra Leclerc. Après avoir proposé d’inclure 4500 condos dans le projet, le promoteur en projette maintenant 3250, a-t-elle ajouté. Le projet soulève l’ire de Montréal, qui se plaint de voir une activité commerciale importante être drainée par une petite municipalité enclavée.

« Le temps a fait son œuvre »

Chez Vivre en ville, le directeur général Christian Savard ne se dit pas du tout surpris par les tensions politiques à la Ville de Mont-Royal. « Le temps a fait son œuvre. L’opposition de bien des acteurs au Royalmount, et même de la ville-centre, a probablement fait réfléchir bien des conseillers, à savoir si c’est vraiment ce qu’ils veulent, ce dont leurs citoyens ont besoin », analyse-t-il.

Pour M. Savard, « le promoteur voit bien que son modèle d’affaires ne fonctionne plus ». « C’est normal que des élus se demandent si, dans la réalité qu’on connaît, c’est encore le moment de l’appuyer. Je les comprends totalement », poursuit-il.

Si le projet se fait même à moitié, ça va être un bout de terrain qui sera hypothéqué pour le futur de Ville Mont-Royal.

Christian Savard, de Vivre en Ville

Ultimement, il serait judicieux de profiter des bouleversements de la pandémie pour « aller chercher un urbanisme qui profitera à la collectivité », dit le porte-parole. « Pour moi, le projet ne tient plus la route, surtout quand on sait que le commerce de détail va être bousculé de manière fondamentale, et que le commerce en ligne a explosé un peu partout. Est-ce que tous ces pieds carrés sont nécessaires ? C’est probablement cette question que se posent les élus », soulève-t-il.

À l’UQAM, l’enseignante et experte en gestion municipale métropolitaine, Danielle Pilette, affirme que la maire Philippe Roy use ici d’une « tactique relativement autoritaire ». « C’est un maire qui, jusqu’ici, a eu une grande emprise sur ses conseillers municipaux. Pour lui, le Royalmount allait initialement se faire dans sa forme originale. Au fond, la formule 2.0, c’était déjà pas mal un compromis à ses yeux », analyse-t-elle.

« Il faudra voir si l’affaire s’étend à d’autres conseillers municipaux par la suite. À la limite, il y aurait une crise qui pourrait se prolonger si la majorité des conseillers refusaient le projet, auquel cas le maire pourrait opposer son veto. Mais autrement, il suffit que le conseil adopte le règlement et il reste que les fonctionnaires vont devoir émettre le permis », poursuit Mme Pilette.