« [Les clients] magasinent avec leur masque. Ils ont chaud. Ils ont hâte de sortir du magasin. On ne peut pas toujours répondre à leurs besoins rapidement. Ils perdent patience. Ils se permettent de crier, parce que je crois que dans leur tête, on est juste des petites caissières. »

C’est en ces mots que Martine Poirier, caissière chez Réno-Dépôt à Pointe-Claire, décrit l’ambiance qui règne en magasin, où elle dit entendre crier tous les jours depuis le début de la pandémie. Celle qui travaille depuis 27 ans à la quincaillerie n’est pas la seule à subir les foudres de clients mécontents en raison des files d’attente, de la pénurie de certains produits et du manque d’employés sur le plancher. Si travailler avec le public apporte parfois son lot de frictions, la situation s’envenime depuis un an, selon les témoignages recueillis par La Presse.

La fin de semaine dernière, les 260 employés syndiqués (CSN) de RONA L’Entrepôt à Anjou et de Réno-Dépôt Pointe-Claire, propriétés de Lowe’s Canada, ont voté en faveur d’un mandat de cinq jours de grève. En plus de réclamer de meilleurs salaires, notamment pour les nouveaux employés, on demande, dans cette négociation des conventions collectives, « la mise en place d’une politique affichée de tolérance zéro à l’endroit de la clientèle de plus en plus agressive ».

Parfois, le simple fait qu’il n’y ait plus de râteaux peut susciter la colère de certains consommateurs, selon ce que raconte Nadege Chiron, employée au département d’horticulture de RONA l’entrepôt à Anjou. « C’est toujours sur un fil, la relation avec le client. Il suffit qu’il soit un peu frustré, qu’on ait une petite défaillance et tout de suite, il peut s’énerver », ajoute celle qui s’est littéralement fait traiter de « bonne à rien » par un client qui ne trouvait pas ce qu’il cherchait.

« Ce qui rend les choses encore pires, c’est qu’il y a vraiment un manque d’employés. Ça augmente notre charge de travail, souligne Mme Chiron, qui occupe son poste depuis sept ans. Ça augmente le nombre de clients dont on doit s’occuper. Ça crée beaucoup de frictions, beaucoup de frustrations de la part des clients parce qu’ils trouvent moins ce qu’ils cherchent. »

« On fait face à des clients qui sont de plus en plus intolérants », affirme également Hagop Kassapian, employé dans le département du bois et des matériaux au magasin Réno-Dépôt de Pointe-Claire depuis 26 ans. « C’est pire depuis le début de la pandémie, depuis qu’on a été désigné comme service essentiel. »

Récemment, un client qui souhaitait acheter des treillis a commencé à montrer des signes d’impatience parce que M. Kassapian, après avoir vérifié dans le système et en magasin, l’a informé qu’il n’y en avait plus. Or, ce consommateur affirmait avoir vu sur le site internet que des treillis étaient encore disponibles. « Des fois, l’inventaire n’est pas toujours mis à jour en ligne », rappelle Hagop Kassapian.

Mais le client semblait tenir mordicus à ses treillis. « Là, il a monté le ton. Il m’a accusé de ne pas vouloir lui rendre service », raconte l’employé, ajoutant dans la foulée que l’individu avait tenu envers lui des propos racistes.

Et des récits de clients impatients, l’homme en a plus d’un à raconter. « Ça fait une semaine qu’on n’a pas de gypse. Quand, le matin, il y a un entrepreneur qui vient chercher son matériel pour aller sur le chantier, puis qu’il n’y a rien, c’est certain qu’il va devenir frustré. »

« On ne sait jamais à quel genre de client on va avoir à faire face, ajoute-t-il. J’essaie de garder mon calme. Mais il y a des limites. Je suis juste un simple salarié. Je n’ai pas à subir ça. »

Comme chez le médecin

Les syndicats des deux succursales demandent à l’employeur d’installer des affiches un peu partout en magasin et près des caisses indiquant clairement qu’on ne tolère pas les comportements agressifs, un peu à l’instar de ce que l’on peut voir dans des cabinets de médecins ou dans d’autres bureaux de services. « C’est un premier pas, explique le vice-président de la Fédération du commerce-CSN, Alexandre Giguère. Ça devrait être un point de départ, que ce soit dans les succursales de Lowe’s ou dans d’autres commerces. »

Les employés interrogés ont tous affirmé que leur employeur avait refusé d’acquiescer à cette demande.

« Nous ne tolérons aucun client agressif en magasin et ceci ne s’applique pas seulement aux magasins RONA de Anjou et Réno-Dépôt de Pointe-Claire, cette politique s’applique à l’ensemble de notre réseau de magasins, a répondu Valérie Gonzalo, porte-parole de Lowe’s Canada, dans un courriel envoyé à La Presse. Ceci dit, nous continuons à négocier de bonne foi avec le syndicat, espérant une résolution rapide de la situation. Nous faisons preuve d’une grande ouverture et nos offres sont conformes avec celles que nous appliquons dans toutes nos conventions. »

« Au cours des deux dernières années seulement, nous avons renégocié plusieurs conventions collectives sans conflit, a-t-elle poursuivi. Nous espérons qu’il en sera de même avec les magasins RONA d’Anjou et Réno-Dépôt de Pointe-Claire. »

La rétention

Pendant ce temps, la Fédération du commerce-CSN craint que dans pareilles conditions, certains employés, surtout des jeunes, désertent les quincailleries. Les plus expérimentés semblent eux aussi avoir moins de motivation à se rendre au boulot. « En ce moment, je n’ai vraiment pas envie [d’aller travailler], admet Nadege Chiron. Pourtant, c’est un travail que j’aime. J’aime l’horticulture, j’aime faire du service à la clientèle. Des fois, dans une journée, il suffit de deux ou trois clients qui nous ont insultés… C’est trop pour nous. On est épuisés. »

Quelques chiffres

RONA L’Entrepôt (Anjou) : 140 syndiqués

Réno-Dépôt (Pointe-Claire) : 120 syndiqués

Nombre de magasins appartenant à Lowe’s Canada au Québec : 200 (sous les enseignes Lowe’s, RONA et Réno-Dépôt)