C’est le genre d’histoires que j’ai entendues souvent, trop souvent. En santé, en éducation et ailleurs dans l’appareil public.

Quoi donc ? Des nominations basées sur l’ancienneté plutôt que sur les compétences, en vertu des règles syndicales. Et qui ont des conséquences souvent désastreuses sur le fonctionnement d’une organisation.

Voici donc le quatrième volet de mes chroniques « La maison des fous ». Je reproduis cette fois, presque intégralement, l’anecdote renversante d’une médecin ophtalmologiste concernant les problèmes entourant l’embauche d’une infirmière responsable (un poste syndiqué). L’auteure, qui travaille en périphérie de Montréal, veut rester anonyme, disant avoir subi de l’intimidation pour ses prises de position dans le passé.

Voici :

« L’infirmière responsable de notre clinique externe d’ophtalmologie (maladies des yeux) a pris sa retraite en juin 2020. Son départ était connu et annoncé depuis quelques mois.

« Son rôle est fondamental. Elle est la chef d’orchestre, la personne de référence. C’est elle qui développe l’expertise pour l’administration des soins pointus, pour la manipulation des différents appareils techniques, pour l’approvisionnement, pour la supervision des autres infirmières, etc.

« Ce poste est très convoité, puisqu’il s’agit d’un poste de jour, sans travail les fins de semaine et sans gardes. Les postulantes n’ont toutefois pas nécessairement idée des lourdes responsabilités du poste ni de la complexité des apprentissages requis pour apprendre le maniement des nombreux appareils et technologies utilisés en ophtalmologie. »

Au diable la compétence

« Donc, au printemps 2020, le poste d’infirmière responsable pour la clinique d’ophtalmologie a été affiché. Plus de 80 infirmières ont postulé. Est-ce que l’attribution du poste va au mérite ? Au dossier professionnel ? À l’expérience en ophtalmologie ? À l’intérêt pour le domaine ?

« Y a-t-il, comme dans tout autre domaine au privé, un processus d’entrevue et de sélection afin d’offrir le poste à la candidate la plus qualifiée ? Bien sûr que non.

« À cause de la toute-puissance syndicale, le poste est automatiquement attribué à l’infirmière avec le plus d’ancienneté.

« Or, l’heureuse élue dans notre cas était… une infirmière en congé de maladie ! Qui était physiquement absente de l’hôpital, en arrêt de travail. Et elle a monopolisé ce poste, privant notre clinique d’une infirmière-chef, jusqu’en novembre 2020 !

« C’est seulement à partir de novembre 2020, après six mois écoulés sans retour au travail, qu’il devenait possible pour nos gestionnaires de retirer le poste jamais occupé par cette infirmière, pour le remettre à la prochaine infirmière sur la liste d’ancienneté, par « déboulement ».

« La nouvelle infirmière responsable a donc débuté parmi nous, mais devinez quoi, elle a réalisé après deux mois d’“essai” que la fonction était trop exigeante et trop stressante. Donc nous y voilà, nous sommes en avril 2021 et n’avons toujours aucune nouvelle infirmière responsable fonctionnelle en ophtalmologie.

« Conséquence ? Notre ancienne chef à la retraite est réengagée à contrat ! Elle occupe la fonction en attendant qu’on forme une nouvelle postulante en fin de carrière. Évidemment, les candidates avec le plus d’expérience sont nécessairement en fin de carrière, désirant avoir un poste avec de meilleurs horaires, mais elles sont généralement moins versées en technologie.

« Tout cela, alors que de nombreuses jeunes infirmières très compétentes et très appréciées, qui détiennent déjà une forte expertise et surtout un intérêt, ne peuvent tout simplement pas oser rêver obtenir le poste, puisqu’elles n’ont pas l’ancienneté pour devancer leurs collègues non qualifiées, mais avec beaucoup d’ancienneté. Voilà l’aberration totale des syndicats en 2021.

« Que les syndicats s’opposent aux heures supplémentaires obligatoires et aux horaires indus et surhumains des infirmières, soit. C’est justifié et légitime. Mais qu’à cause du syndicat, les postes clés d’un hôpital ne puissent être attribués selon la compétence, les qualifications et le mérite des candidates, c’est une totale aberration et un effet pervers du mouvement syndical.

« Personne n’est gagnant avec une telle manière de faire. Des infirmières moins qualifiées ont autant ou plus de chances d’obtenir des postes importants, simplement en raison de leur ancienneté dans le réseau. Il n’y a donc aucun incitatif au dépassement et à la performance et c’est démotivant pour tous. Pourquoi faudrait-il se forcer si le mérite n’est pas reconnu ?

« C’est le nivellement vers le bas. Et c’est ainsi pour tous les postes dans un hôpital. Si comme dans la société en général, les postes clés des hôpitaux étaient attribués par sélection aux meilleures candidates, avec le meilleur profil, je peux vous garantir que déjà cela ferait une ÉNORME différence dans la performance des hôpitaux. Et cela aurait forcément un effet d’entraînement, les infirmières “leaders” montreraient l’exemple et attireraient vers le haut le niveau de performance et d’efficience des différents départements et cliniques. C’est une évidence. »

Décourageant…