Jeudi, le président de la Banque Royale du Canada, dont la valeur et le capital à prêter se comptent en milliards, a déclaré à l’assemblée générale annuelle des actionnaires que la pandémie avait mis en évidence un besoin critique, pour la société, celui de devenir plus équitable.

Il faut, a-t-il dit en substance, donner une chance à tout le monde de participer à la création, à la gestion de la richesse et à son partage, et reconnaître que c’est pour le bien de la collectivité, de notre avenir.

Cet homme rempli de bonnes intentions s’appelle Dave.

Dave McKay.

Et ce qui est un peu dommage, c’est que quand j’ai vu son nom écrit en toutes lettres dans l’article de La Presse Canadienne résumant son intervention, je n’ai pas eu comme image défilant devant mes yeux, dans mon imagination, des millions volant vers des entreprises fondées par des personnes d’origine africaine, des femmes ou des transgenres. Je n’ai pas eu une vision de vice-présidentes autochtones ou de jeunes personnes non binaires faisant le métier de banquier.

Ce qui m’est venu à l’esprit, c’est la fameuse statistique recueillie chaque année et relayée chaque fois par les médias canadiens, américains et britanniques : dans le monde de la finance, il y a plus de présidents et de chefs de la direction qui s’appellent Dave ou David que de femmes.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dave McKay, président de la Banque Royale du Canada

Une donnée quand même frappante qui illustre bien le gouffre séparant les hommes issus de la culture dominante, même avec de bonnes valeurs et de bons constats, du reste de la population – les Christine, les Mohammed, les Tidiane, les Masami, les Beyoncé, etc. – quand vient le temps de contrôler les leviers de l’économie.

Je ne dis pas ici que Dave McKay ne fait pas un bon plaidoyer ou qu’il n’a pas raison ou qu’il devrait se taire. Je dis juste que c’est encore un homme blanc qui nous parle et qu’on commence à avoir hâte que ça change vraiment. Pas juste en paroles.

Cela dit, la bonne nouvelle – je cherche et je vais continuer d’essayer de vous en trouver –, c’est que pendant que Dave se prononçait sur la nécessité de rendre le monde plus égalitaire et ouvert à la diversité, un autre évènement en ligne, animé par Indu Krishnamurthy, nous parlait de gestes faits au quotidien, à petite échelle, pour renverser la vapeur en faveur des gens issus de groupes discriminés.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Indu Krishnamurthy, directrice de Microcrédit Montréal

Mme Krishnamurthy est la directrice générale de Microcrédit Montréal, un organisme dont l’objectif est d’aider financièrement les entrepreneurs et professionnels qui n’ont pas un accès direct, simple, juste, aux aides financières offertes en théorie – mais pas en réalité – à tous.

Pourquoi ces gens y ont-ils moins accès ?

Parce que ce sont des immigrés, des Noirs, des femmes, des gens contre qui le monde de l’aide financière a toujours dressé des barrières plus ou moins conscientes, parce que leurs lettres de créance ne ressemblent pas à celles, traditionnelles, du groupe dominant.

La conférence de presse de Microcrédit Montréal avait comme objectif d’annoncer haut et fort l’attribution d’une aide de 2 millions de dollars, par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, pour relancer un programme appelé Professionnels formés à l’étranger.

Ce programme aide les immigrés qui ont des diplômes professionnels, que ce soit des dentistes, des physiothérapeutes, des architectes ou des arpenteurs, pour ne nommer que ceux-là, à voir leurs formations et leurs compétences reconnues ici afin qu’ils puissent travailler à la hauteur de leurs savoirs.

En gros, on vise à aider les ingénieurs à ne pas finir chauffeurs de taxi ou travailleurs en manufacture, par nécessité et non par choix. On en a tous croisé un qui s’est retrouvé coincé comme ça.

Indu Krishnamurthy est elle-même un exemple de cette problématique.

En 2000, quand elle est arrivée au Canada, en compagnie de son mari médecin recruté par un hôpital ici, elle s’est retrouvée sans emploi dans son domaine, incapable de faire reconnaître sa formation de comptable acquise en Inde et au Royaume-Uni.

Elle a fini par trouver un emploi à la Banque de développement du Canada, en 2008, et a commencé à faire du bénévolat pour l’organisme qui allait devenir Microcrédit Montréal, où elle a maintenant un vrai poste.

« Je voulais avoir un impact social », dit-elle.

C’est fait.

Depuis sa création il y a 30 ans, cet organisme a aidé 10 000 personnes, en faisant une centaine de prêts par année, dont une quarantaine à des entrepreneurs et une soixantaine à des professionnels. « Mais on accompagne environ 2000 personnes par année », précise Mme Krishnamurthy. L’aide prend toutes sortes de formes.

À quoi sert l’argent prêté aux professionnels ? À suivre les cours nécessaires pour obtenir la formation nécessaire à la reconnaissance de certains diplômes ou encore pour payer pour les examens. « Chez les dentistes, ça coûte 9000 $ ! » On parle aussi d’achat d’équipements.

Parfois, les chemins sont un peu moins linéaires que ceux des physiothérapeutes voulant exercer ici leur profession ou des médecins voulant être reconnus par le Collège.

Rhodie Lamour, par exemple, a un diplôme en génie et un diplôme du Fashion Institute of Technology, une des universités du réseau de l’État de New York.

Arrivée ici, elle a eu l’idée de devenir consultante en image, pour aider les professionnels et les entreprises. Pensez image de marque, mais par le biais de ce qu’on projette de façon très large, pas juste par les logos ou la pub.

« J’avais écrit un livre que je voulais publier en ligne et Microcrédit Montréal m’a aidée pour que je le publie en papier. »

Il est devenu une sorte de carte de visite pour son entreprise de consultation.

L’organisme, dit-elle, lui a aussi permis de « faire le pont » entre ses connaissances du monde des affaires en Haïti, en République dominicaine et à New York, où elle a vécu.

« Je suis pluriculturelle, dit-elle. J’avais besoin d’aide pour mettre tout ça en lien. »