Ça sent le début de la fin pour Énergie Saguenay, anciennement connu sous le nom de GNL Québec.

Après le rapport critique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), je ne vois pas comment le gouvernement caquiste pourrait approuver ce mégaprojet de gazoduc et d’usine pour ensuite le liquéfier et l’exporter par bateau en Europe et en Asie.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, avait fixé trois conditions : le projet devait favoriser la transition énergétique, contribuer à la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et être accepté par la population.

Aucune d’entre elles n’est remplie, conclut le BAPE.

Le rapport ne portait que sur l’usine. L’impact du gazoduc et du transport maritime seront étudiés plus tard par d’autres instances. Le BAPE ne va pas jusqu’à recommander de bloquer le projet d’usine. Et de toute façon, même s’il le faisait, ce ne serait qu’un avis.

La décision revient au gouvernement. Elle viendra d’ici quelques mois — après le dépôt de l’étude environnementale —, mais elle est prévisible. Les caquistes ne semblent plus vraiment y croire.

M. Charette répète que « la balle est dans le camp du promoteur » pour prouver que ses conditions sont respectées. Difficile toutefois d’imaginer comment cette preuve pourrait être faite.

La population n’aura pas de coup de foudre soudain d’ici l’été. Et la demande mondiale de gaz naturel liquéfié à long terme demeurera basée sur des hypothèses invérifiables. La société prétend que son gaz remplacerait des énergies plus polluantes, comme le charbon. Mais selon le BAPE, il risque au contraire de retarder le développement d’énergies renouvelables.

Face à cette incertitude, Québec devra décider ce qu’il croit : la synthèse indépendante des propos d’experts fournie par le BAPE ou les affirmations du promoteur.

***

Pourquoi ce léger suspense ? À cause de la loi. Québec peut larguer un projet avant la fin de l’examen environnemental.

À la suite du rapport du BAPE, le ministère de l’Environnement doit produire une étude d’impact. M. Charette attend ce document avant de faire sa recommandation au Conseil des ministres, qui tranchera. D’ici là, il donne une dernière chance au promoteur de faire valoir ses arguments, ce qui est normal. Mais il fait aussi un peu de politique…

M. Charette anticipe que le projet risque d’agoniser, par manque de financement. Alors il veut gagner du temps, pour ne pas être celui qui le débranche. Symbio Infrastructure, la société en commandite derrière l’usine et le gazoduc, ne dévoile pas combien d’argent il lui manque pour financer son projet. On sait toutefois que ce sera ardu.

Si la planète respecte les cibles — pourtant insuffisantes — de l’accord de Paris, la demande de gaz naturel diminuera en Europe avant 2030, et en Asie avant 2040. Les projets actuels suffiront à cette demande, prévoit le BAPE.

Le mégaprojet, qui prévoit être en service dans les années 2050 et possiblement 2060, arrive tard dans la transition énergétique. Et même si ce n’était pas le cas, les acheteurs hésitent actuellement à s’engager à long terme auprès d’un fournisseur, car le prix du gaz sur le marché immédiat (spot) est avantageux.

Bref, Symbio pourrait avoir trop de concurrence, et pas assez de clients.

Cela explique pourquoi les mauvaises nouvelles s’accumulent. En février 2020, le fonds de Warren Buffett a renoncé à y investir, malgré ses impressionnantes liquidités. Et depuis, il y a eu deux vagues de licenciements, en plus du départ des patrons du gazoduc et de l’usine de liquéfaction. À la fin de 2020, l’Union internationale du gaz, porte-voix de l’industrie, jugeait « peu probable » que le projet se réalise.

À ces mauvaises nouvelles s’ajoutent maintenant le rapport du BAPE, l’incertitude liée à l’examen fédéral du trafic maritime qui affecterait les bélugas, ainsi qu’à l’examen fédéral-provincial du gazoduc qui traverserait 32 communautés autochtones au Québec.

Cela fait beaucoup de « si »…

***

Aux gens d’affaires du Saguenay, les caquistes disent être le seul parti qui reste ouvert au projet. Et aux écologistes, ils disent respecter le processus prévu par la loi. François Legault veut rester assis sur cette clôture le plus longtemps possible, mais il a récemment ouvert son jeu à l’Assemblée nationale. Il accuse les libéraux de « défoncer une porte ouverte » en voulant bloquer un projet pour lequel le promoteur « ne trouve pas » de financement.

M. Legault se ferait violence en refusant ce projet. Il a toujours voulu exploiter le pétrole et le gaz québécois. Il y a un an, il souscrivait aux arguments de Symbio. Mais il a métabolisé depuis les leçons d’Énergie Est. Rien ne sert de perdre du « capital politique » en appuyant un projet dont l’avenir est incertain.

Un autre obstacle refroidira les caquistes.

Selon l’Union des consommateurs, lorsque l’usine de liquéfaction entrerait en service, les surplus énergétiques seraient écoulés. Pour l’alimenter, Hydro-Québec devrait produire plus d’énergie. Elle la revendrait à perte au tarif L. Les contribuables financeraient indirectement le projet.

C’est en partie grâce à l’hydroélectricité que Symbio promet de rendre l’usine carboneutre. Mais la cimenterie McInnis a déjà pris un tel engagement, qui n’a jamais été respecté.

Et même si c’était le cas, le projet hausserait tout de même la production de gaz dans l’Ouest canadien. Les GES y augmenteraient de 7,8 mégatonnes par année, soit presque autant que toutes les réductions péniblement obtenues au Québec depuis 1990.

Cela explique pourquoi un sondage Léger commandé par des groupes écologistes rapporte que 52 % des Québécois s’opposent au mégaprojet. C’est, avec le rapport du BAPE, une donnée que le gouvernement caquiste regardera de très près. Surtout à une année à peine de la prochaine campagne électorale.