La pandémie a démontré à quel point le système de santé est fragile. Et quand on ajoute le vieillissement de la population, il apparaît évident qu’il faudra plus d’argent dans les prochaines années, comme l’ont demandé les provinces à Ottawa.

Mais attention, le réseau québécois a aussi d’importants problèmes d’efficacité. Un gestionnaire du réseau m’a fait ce douloureux rappel, dans la foulée de ma chronique sur le financement fédéral. Il me donne des exemples à faire dresser les cheveux sur la tête.

(Re)lisez ma récente chronique.

Bien sûr, avec la COVID-19, il a fallu être archiprudent, ce qui a pu alourdir les processus, et c’est normal. Toutefois, plusieurs problèmes bureaucratiques étaient là avant la pandémie, juge ce gestionnaire de la région de Montréal, qui a travaillé à divers paliers du système de santé, et qui requiert l’anonymat par crainte de représailles.

Le gestionnaire déplore l’absence de délégation réelle de pouvoir, entre autres. « Dans les réunions, il y a au moins trois, sinon quatre niveaux de gestionnaires. Le patron de l’équipe est présent, mais aussi le patron du patron, le patron du patron du patron et, le plus souvent, le patron du patron du patron du patron. Chaque semaine. Chacun apportant son grain de sel et faisant des politesses. Cela va à l’encontre des principes de base d’une gestion efficace, et ça coûte très cher », m’explique-t-il.

Autre exemple : la multiplication des mêmes mesures de contrôle. Depuis un an, il peut y avoir quatre, voire cinq organismes qui font des inspections dans les résidences pour personnes âgées pour vérifier les mêmes choses. Il y a le CLSC, l’équipe de prévention des infections des CISSS/CIUSSS, la Direction de santé publique de Montréal, auxquels s’ajoute l’équipe de certification des CISSS/CIUSSS, notamment(1).

Et tous ces inspecteurs posent des questions semblables, que ce soit sur les mesures pour éviter une éclosion, sur la présence d’équipements de protection individuelle, sur le registre des proches aidants, sur la désinfection des salles de bains, etc. « Ils compilent la même information. C’est absurde. »

Il déplore aussi les instructions trop souvent ambiguës du Ministère aux CISSS/CIUSSS. « Les équipes des CISSS/CIUSSS passent un temps fou à tergiverser sur les interprétations à y donner, organisent des réunions pour prendre position, et s’adressent finalement au Ministère pour des précisions qui prennent des semaines à être fournies. »

Trois exemples parmi d’autres. Depuis mai dernier, le Ministère offre un boni de 1000 $ par mois aux employés des CHSLD et des résidences qui travaillent à temps complet durant quatre semaines consécutives. En mai, on voulait s’assurer que les employés ne désertent plus les lieux.

Or voilà, les établissements qui doivent verser ces bonis sont incapables de savoir ce que le gouvernement entend par temps complet. Est-ce 30, 32 ou 36 heures ? Ils ont reçu des avances, mais craignent de verser trop d’argent et de devoir rembourser lorsque les comptes seront faits. Et depuis dix mois, ils sont incapables d’avoir une réponse claire ou même d’avoir un avis de réception à leurs demandes. Dix mois !

Autre exemple : au début de la vaccination, le Ministère invitait les personnes qui accompagnaient les gens âgés de 80 ans et plus — typiquement les conjoints — à se faire vacciner par la même occasion. Or, nulle part n’a-t-on précisé que ces accompagnateurs de 70 ans et plus devaient, eux aussi, prendre rendez-vous sur le site de Clic Santé. Et comme le nombre de doses est arrimé précisément aux rendez-vous, les accompagnateurs sont retournés bredouilles.

Ce problème d’instructions a été transmis en haut lieu, mais aucun changement n’avait été apporté sur Clic Santé, ce qui a causé des maux de tête aux responsables des sites de vaccination.

Autre exemple, cette fois sur le jargon bureaucratique. Pour le personnel, un vaccinateur est celui qui vaccine, qui insère la seringue dans le bras. Or, ce n’est pas ainsi que le voit le Ministère, selon qui le vaccinateur est la personne qui pose les questions au patient sur ses antécédents médicaux et prend son consentement éclairé sur la vaccination. Celui qui pique — et donc qui vaccine — est l’administrateur du vaccin et non le vaccinateur.

Le Ministère a dû transmettre une note de deux pages pour dissiper la confusion que causent les termes dans l’organisation des tâches.

De tels exemples, mis bout à bout, font perdre beaucoup de temps et d’argent, me dit la source. Et la machine fonctionne sans que personne ne se soucie vraiment des impacts.

« Il n’y a aucune imputabilité, de notion de service à la clientèle. Les incompétents restent impunis, les courriels envoyés par les employés à leur superviseur restent sans réponse, les inefficacités sont ignorées et noyées dans l’autocongratulation ambiante, et les délais font partie de la culture du ‟je suis tellement occupé que je ne peux répondre à mes courriels" », m’explique-t-il.

Bien sûr, avec la COVID-19, il a fallu être archiprudent, ce qui a pu alourdir les processus, et c’est normal, pourrait-on dire.

Mais est-il possible que ce soit l’inverse ? Que les lourdeurs déjà présentes dans notre système avant la pandémie, avec ses problèmes de communication et son manque d’« imputabilité », aient multiplié les morts au Québec plus qu’ailleurs ?

1- CISSS est le sigle de Centre intégré de santé et de services sociaux. CIUSSS est le sigle de Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux. CLSC est le sigle de Centres locaux de services communautaires.