« Comment ça va ? Ça va super bien ! »

J’ai Chloé Roy au bout du fil, et comme diraient mes copines françaises, elle a vraiment l’air d’avoir la pêche.

Mars n’a pas encore desserré sa fraîche emprise sur ses 1,2 acre de terre et l’horticultrice ne distribue pas encore ses fleurs un peu partout au Québec, parce que la saison n’est pas commencée.

Mais Chloé et son énergie contagieuse se préparent à lancer la commercialisation de semences de fleurs toutes naturelles. Et tout porte à croire que les ventes de zinnias, dahlias, renoncules et autres beautés multicolores, et les affaires en général, iront au moins aussi bien en 2021 qu’en 2020. « L’an dernier, on a totalement dépassé nos attentes. Et cette année, on s’aligne pour ça aussi. L’intérêt reste. »

PHOTO FOURNIE PAR ENFANTS SAUVAGES

Même si la taille des établissements horticoles québécois ne rivalise pas avec celle des fermes des pays exportateurs et qu’on n’observe pas les mêmes économies d’échelle, l’absence de frais élevés de transport et d’intrants agricoles musclés, utilisés pour permettre aux fleurs de voyager sur de longues distances, rétablit l’équilibre.

Actuellement, le nombre d’abonnements pour les bouquets de fleurs naturelles, locales, de Floramama a déjà dépassé ce qu’il était à pareille date l’an dernier.

En 2020, sa ferme de fleurs de Frelighsburg a augmenté son chiffre d’affaires de 53 %, ce qui lui a permis de dépasser les 200 000 $ de chiffre d’affaires avec quelque 8500 bouquets vendus. Et ce ne sont pas les gros partys de mariage qui l’ont soutenue. Il n’y en a pas eu.

C’est plutôt dans les marchés fermiers, dans les épiceries — elle est distribuée notamment par la chaîne de supermarchés Avril — et par abonnements que se sont écoulées ses fleurs, dévalisées d’une semaine à l’autre par une clientèle avide de produits locaux, qui a répondu présent massivement aux appels à la consommation québécoise.

La fleur québécoise n’est pas encore en train d’anéantir le marché des fleurs importées peut-être de Colombie, de Hollande ou du Kenya, ces créatures parfois bleu ciel ou rose étrangement fluo qui traversent les océans malgré leur fragilité avec la résistance qui évoque celle des fraises importées de Californie en janvier.

Mais dans la vaste gamme de produits québécois de plus en plus populaires, aux côtés des produits alimentaires, il y a maintenant, de toute évidence, les fleurs coupées. Pas des orchidées, pas des oiseaux du paradis, bien sûr. Pas des roses grasses et longues, sans épines. Mais des marguerites, des anémones, des tulipes, des capucines ou des hémérocalles. Tout aussi spectaculaires. Généralement à prix totalement concurrentiels.

En effet, même si la taille des établissements horticoles québécois ne rivalise pas avec celle des fermes des pays exportateurs et qu’on n’observe pas les mêmes économies d’échelle, l’absence de frais élevés de transport et d’intrants agricoles musclés, utilisés pour permettre aux fleurs de voyager sur de longues distances, rétablit l’équilibre. Et puis, les fleurs des petites fermes québécoises sont souvent vendues sans intermédiaire.

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Aux confins de Stanstead, près d’Ayer’s Cliff, en Estrie, Alice Berthe, gestionnaire de projets, et Thierry Bisaillon-Roy, formé en apiculture et au cégep de Victoriaville en gestion de fermes biologiques, ont décidé aussi de sauter dans ce train horticole bien en marche au Québec, aux côtés de Floramama, de la ferme Homefield à Hemmingford, de Fleurs et filles à Bonsecours ou d’Origine Ferme florale à Saint-Joseph-du-Lac, pour ne nommer que celles-là. (La liste est trop longue et il y en a maintenant un peu partout.)

En préparation depuis près de deux ans, la production de fleurs commencera cette année.

PHOTO FOURNIE PAR ENFANTS SAUVAGES

Thierry Bisaillon-Roy et Alice Berthe

Pour lancer le tout, le couple a décidé de passer par la plateforme de sociofinancement de La Ruche, et moins de 48 heures après le départ, il avait déjà atteint près du tiers de son objectif.

« Et on a déjà des demandes de stage », dit la nouvelle horticultrice.

« On n’est pas précurseurs, mais il est clair que c’est un mouvement émergent. »

Et une tendance qui a le vent dans les voiles.

La ferme, Enfants Sauvages, est installée sur 27 acres de terrain, dont seulement 0,7 acre sera utilisé pour les fleurs cette année, mais avec une possibilité d’agrandir chaque année, selon la demande.

La ferme compte aussi sur une serre, très peu chauffée, qui permettra de prendre un peu d’avance. Elle fonctionne sur le même modèle que les fermes maraîchères biologiques, où on mise surtout sur la chaleur des rayons de soleil, sur l’humidité recyclée et où le chauffage sert essentiellement à garder les températures au-dessus du point de congélation.

Il n’est pas question de faire pousser des bougainvilliers ou des hibiscus en janvier, mais juste de devancer un peu les floraisons de plantes qui aiment le frais, comme les anémones ou les renoncules, des fleurs précoces au printemps.

Et il y aura bientôt des tulipes.

Chez Enfants Sauvages aussi, on fonctionnera avec des abonnements, comme pour les paniers de légumes bios. De l’horticulture soutenue par la communauté. Il y aura aussi des ventes en marché fermier et de la distribution dans le gros pour les fleuristes qui souhaitent vendre des produits naturels et bios.

Des fleurs qu’on peut humer de près, sans avoir peur de respirer des pesticides ou des agents de conservation.

Des fleurs qui sont des fleurs. Avec leur magie qui donne la pêche.