(Montréal) Le salaire de certains hauts dirigeants d’Investissement Québec (IQ) pourrait pratiquement doubler en vertu d’une nouvelle politique de rémunération, qui s’attire des critiques des partis d’opposition en plus de soulever des questions chez certains observateurs en gouvernance.

Un volet à long terme fixé sur l’atteinte d’objectifs qui seront évalués tous les trois ans s’ajoutera au salaire de base ainsi qu’aux primes annuelles déjà offertes au personnel du bras financier de l’État québécois, qui joue un rôle d’agence de développement économique et de société de financement.

Le président-directeur général d’IQ, Guy LeBlanc, et ses premiers vice-présidents exécutifs pourraient toucher une paye totale d’environ 1 million si toutes les cibles étaient atteintes. L’an dernier, aucun d’eux n’a obtenu une rémunération globale — qui tient compte du salaire de base, des primes et autres avantages — supérieure à un demi-million de dollars. M. LeBlanc avait touché environ 484 000 $.

« Le régime est fondé sur le rendement, la performance organisationnelle et la contribution au développement économique du Québec », a souligné une porte-parole d’IQ, Gladys Caron, dans un courriel, mercredi après-midi, en ajoutant qu’il revenait au conseil d’administration de déterminer et approuver les cibles.

S’il ne s’agit pas d’une « mauvaise chose » d’évaluer les résultats après quelques années, l’expert en gouvernance et professeur à l’Université Concordia Michel Magnan a toutefois apporté un bémol, mercredi.

« On parle d’une société d’État, a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique. Elle effectue des investissements en capital-actions, offre des prêts-subventions. Il n’y a pas beaucoup de banques dans le secteur privé qui font cela. C’est un peu embêtant d’aligner la rémunération avec le secteur financier. »

Parallèlement aux plus hauts dirigeants d’IQ, les autres premiers vice-présidents pourraient obtenir une paye globale de 775 000 $.

L’exercice financier terminé le 31 mars 2020 s’est soldé par une parte nette de 180 millions et un rendement négatif de 5,1 % pour IQ, qui avait attribué cette performance aux secousses économiques provoquées par la pandémie de COVID-19.

M. Magnan a estimé que le gouvernement Legault faisait « bande à part » avec IQ, où les conditions de rémunération seront supérieures à ce qui est offert dans d’autres sociétés d’État commerciales comme Hydro-Québec et la Société des alcools du Québec (SAQ).

Un déséquilibre

Pour Luc Bernier, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, le gouvernement Legault semble mettre sur pied un « débalancement important » des salaires chez IQ, une société sur laquelle il mise grandement pour notamment gonfler les investissements étrangers dans la province et stimuler l’investissement privé.

« En raison des prêts-subventions et d’autres instruments du genre, IQ ne peut pas nécessairement dégager un rendement d’entreprise privée, a-t-il observé en entrevue. On dirait que l’on réinvente les mécanismes de rémunération pour qu’ils soient bien payés même s’ils ne sont pas rentables. »

À l’Assemblée nationale, le gouvernement Legault s’est retrouvé sur la défensive. Il a justifié cette nouvelle politique en faisant notamment valoir qu’elle s’inspirait de ce que l’on retrouve au Fonds de solidarité FTQ — un fonds de capital-risque comptant plus de 700 000 actionnaires-épargnants.

Interpellé à la période des questions, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a affirmé que les cadres du bras financier de l’État québécois devaient être rémunérés comme dans le secteur privé.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a fait valoir que cette structure de rémunération « concurrentielle » permettrait de recruter des candidats de choix. À sa gauche, le président-directeur général d’IQ, Guy LeBlanc.

« Les critères de bonification à long terme seront basés sur des indicateurs comme les investissements en entreprise et les investissements directs étrangers, a affirmé M. Fitzgibbon. C’est conforme avec ce que l’on veut créer au Québec. »

Dans son plus récent rapport annuel, IQ soulignait compter 571 employés permanents. Son taux de roulement s’était établi à 15,2 % au cours de l’exercice 2019-2020. Si les postes ont été « pourvus dans un délai raisonnable » en général, la société d’État a fait valoir que « l’attraction est plus difficile » pour « certains postes exigeant des expertises très pointues ».

Néanmoins, pour le porte-parole libéral en matière d’économie, Carlos Leitão, il est « inapproprié » d’avoir une structure de rémunération conditionnelle à la performance financière. En point de presse, celui-ci a estimé qu’IQ n’était pas une « banque d’affaires », mais un organisme public.

Du côté de Québec solidaire, le responsable des dossiers économiques, Vincent Marissal, a qualifié la situation de « jamais vu » dans la fonction publique en faisant référence aux émoluments des dirigeants du bras financier de l’État.

« En ce moment, ce qu’on fait, c’est faire péter la banque pour une minorité de gens qui devraient être là d’abord et avant tout pour servir la population québécoise », a-t-il fait valoir.

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique (SFPQ), qui représente environ 300 employés chez IQ, s’est également dit « outré » en affirmant que ces augmentations étaient offertes au moment où le gouvernement Legault refuse des hausses salariales à ses membres.

Dans une déclaration envoyée par courriel, son président-directeur général, Christian Daigle, a souligné que Québec refusait « 2 % d’augmentation » salariale aux membres du syndicat. À son avis, cela démontre un penchant de la Coalition avenir Québec pour les « hauts salariés ».

Rémunération globale des principaux dirigeants d’IQ au 31 mars 2020

– Guy LeBlanc (président-directeur général) : 483 685 $.

– Alexandre Sieber (premier vice-président exécutif, financement corporatif) : 496 061 $

– Marie Zakaïb (première vice-présidente, ressources humaines et communications internes) : 449 860 $

– Sylvie Pinsonnault (première vice-présidente, stratégies et solutions d’affaires) : 447 061 $

– Christian Settano (premier vice-président, finances, gestion des risques et technologies d’affaires) : 440 090 $