Une fois de plus, les cheveux m’ont dressé sur la tête, mercredi matin, en lisant un article de mes collègues Gabrielle Duchaine et Caroline Touzin, qui enquêtent depuis plusieurs mois sur le sujet aussi vaste qu’horripilant de l’exploitation sexuelle des mineurs.

Leur dernière découverte : MindGeek, l’entreprise qui chapeaute Pornhub, l’immense plateforme de diffusion de vidéos pornographiques professionnelles et amateurs, et qui est accusée par des victimes alléguées de diffuser des vidéos d’exploitation sexuelle de mineures, ne croit pas que la loi canadienne qui oblige les sites web à rapporter directement à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) les cas de pédopornographie et autres formes d’exploitation sexuelle d’enfants s’applique à elle.

Lisez le texte

Pourquoi ?

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

MindGeek « se dit luxembourgeoise et non canadienne, même si une très grande partie des activités de la société se passe à Montréal », rappelle notre chroniqueuse.

Parce qu’elle se dit luxembourgeoise et non canadienne, même si une très grande partie des activités de la société se passe à Montréal, une ville canadienne et québécoise, bien sûr. (L’entreprise dit qu’à la place, elle passe par un organisme américain pour rapporter les cas, lequel relaie ensuite le tout à la GRC.)

Sauf que MindGeek a reçu de l’aide financière du gouvernement québécois pour développer et soutenir des emplois technos depuis sa création en 2013 ! Le chiffre officiel est de près de 200 000 $ en 10 ans. C’est peu, vous direz. C’est tout ce qu’on a réussi à savoir, même si les journalistes multiplient les demandes depuis des années auprès de Revenu Québec et de l’Agence du revenu du Canada pour connaître le montant exact de toutes les aides et tous les avantages fiscaux que l'entreprise aurait pu recevoir.

Mais on a quand même ici le cas classique d’une société qui veut le beurre et l’argent du beurre. Bien ancrée ici quand il faut aller chercher des subventions et recruter, mais luxembourgeoise quand il faut respecter une loi contraignante.

Et j’aimerais vraiment savoir de quelle nationalité elle est quand arrive le temps de faire sa déclaration de revenu. Et combien elle paie de taxes ici.

Et combien elle redonne à la communauté en général.

Je sais que les impôts font partie des secrets que les entreprises peuvent garder pour elles.

Mais dans ce cas, le flou est inacceptable.

Quand une société utilise certains fonds publics, peu importe les montants, mais est aussi montrée du doigt pour la diffusion potentielle de contenus mettant à l’écran des enfants exploités, la population devrait avoir le droit à des enquêtes et de la vraie transparence.

On devrait avoir en main l’information nous permettant de décider si on a affaire à une entreprise moteur de développement techno qui joue sur un terrain tabou néanmoins légitime ou si on est face à des gens qui cherchent à profiter du fait d’être à la fois à Montréal et au Luxembourg pour profiter des conditions d’affaires montréalaises sans les responsabilités qui viennent avec le fait d’être établi ici.

On devrait tout savoir. Les gouvernements devraient plus collaborer.

Les flous qui entourent ce géant sont juste trop énormes et les allégations, juste trop graves.

***

Je pourrais parler ici longuement des contenus diffusés sur ce site – et les autres du même acabit. Des recherches qui montrent de plus en plus clairement les impacts dévastateurs de l’accessibilité illimitée de la porno sur l’internet sur la sexualité des jeunes et des adultes – oui, les gars, les recherches parlent de problèmes de dysfonction érectile –, sur les contenus de plus en plus « hard » qui affectent les comportements, sur les dangers de dérapages violents à la suite de certains visionnements, sur la dépendance et ses conséquences, sur l’escalade d’images dégradantes, humiliantes, de femmes surtout, dont on se demande, mais où ça va finir par s’arrêter ? On pourrait parler du glissement des contenus, qui vont bien au-delà des fantasmes éclatés d’adultes en plein contrôle de leur vie et de leurs moyens pour plonger dans des zones qu’on est en droit de trouver alarmantes.

Quand des hommes, surtout, prennent leur pied à regarder des enfants se faire violer, des femmes se faire violenter, il y a de quoi se poser des questions. Et on a le droit de les poser haut et fort et d’en poser plus encore. Rendu là, on n’est plus dans des questions de mœurs, mais bien de justice.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Selon MindGeek, environ 10 % des adultes canadiens sont devant Pornhub chaque jour.

Selon MindGeek elle-même, en moyenne, environ 10 % des adultes canadiens sont devant Pornhub chaque jour, sans parler des autres plateformes. Ces contenus ont des impacts qui dépassent largement ce qui se passe, les portes fermées, dans les chambres des internautes en question.

Tout ça n’a rien de marginal au sein de notre société.

C’est pourquoi il faut se demander quoi faire avec cette entreprise.

Comment lui demander d’être transparente. De respecter les lois canadiennes.

Et aussi se demander quelle place on lui laisse.

Si MindGeek s’est installée à Montréal, est-ce uniquement parce que ses dirigeants, des anciens de Concordia, adorent la ville et sa slotche du mois de mars ?

Est-ce parce que le Québec a mis en place il y a plusieurs années un cadre très efficace pour encourager de telles entreprises technos avec des mesures fiscales intéressantes et des aides financières directes et indirectes ?

Si oui, il aurait fallu préciser que les contenus ne devaient pas aller à l’encontre de valeurs fondamentales de respect, d’humanisme, d’égalité…

Si MindGeek est ici, c’est aussi sûrement parce que le Québec a une main-d’œuvre de grande qualité dans ces secteurs des technologies de l’information.

Et quoi qu’il en soit, avez-vous envie, comme contribuable, de voir les ressources qu’on investit en éducation pour former ces travailleurs de pointe en techno servir non pas à des entreprises constructives, mais à des sociétés qui, au pire, diffusent des images d’exploitation d’enfants ou, au mieux, contribuent à détraquer la sexualité du monde moderne ? (Je le répète, de plus en plus de recherches le démontrent.)

Pas moi.

Il faut arrêter d’avoir peur d’avoir l’air quasi duplessiste en critiquant la diffusion de tels contenus et oser remettre tout ça en question.

C’est l’ère du far west de la porno sur l’internet qui est très dangereusement dépassée.