La bonne nouvelle, c’est que la réalité commence à sauter au visage même des grandes institutions. Il n’y a pas assez de femmes et de membres de minorités à la tête des grands organismes de notre société, et pas assez de tout ce monde dans les pipelines professionnels qui mènent aux postes de direction des entreprises et des grandes institutions.

La mauvaise ?

C’est que ça ait pris tant de temps à le concevoir, à le voir, à l’accepter, à le chiffrer officiellement, à s’en préoccuper. Et qu’on attend toujours un peu d’indignation, un peu de mesures chocs, de pensées doucement révolutionnaires de la part d’organismes comme KPMG ou l’Institut de la gouvernance d’organismes privés et publics (IGOPP), pour aider concrètement à faire changer les choses.

Pourquoi je les mentionne ?

Parce que l’IGOPP et KPMG ont tous les deux publié des documents sur ces questions au cours des dernières semaines pour attirer notre attention sur les défis de la diversification des directions.

Dans « Les enjeux de la diversité à la direction et aux conseils d’administration des sociétés ouvertes », paru le 12 février, l’IGOPP analyse la situation actuelle et conclut que « les objectifs de mixité de 40 % que l’IGOPP avait établis lors de la publication de sa Prise de position sur le sujet (en 2009) ne sont toujours pas atteints ».

OK. Ceux qui lisent sur ces questions depuis un moment étaient probablement déjà au courant, mais je sais qu’il faut souvent répéter les choses pour qu’elles soient acquises.

À ce défi s’ajoute maintenant celui d’une définition élargie de la diversité, définition qui désigne une représentativité de la population générale composant la société d’où provient une organisation donnée.

Extrait du rapport de l’IGOPP

L’IGOPP s’intéresse maintenant à la représentativité plus large de la diversité. Excellent. Il était temps.

Et pour illustrer tout ça, on nous fournit des chiffres. Qui montrent à quel point la situation change len-te-ment…

« En moyenne, les conseils d’administration des sociétés étudiées sont composés de 29,43 % de femmes, de 4,47 % de personnes issues de minorités visibles, de 0,6 % de groupes autochtones et de 0,49 % de personnes handicapées », apprend-on.

« La haute direction des sociétés étudiées est composée, en moyenne, de 23,94 % de femmes, 7,94 % de personnes issues de minorités visibles, 0,14 % de groupes autochtones et 0,35 % de personnes handicapées. »

Bref, poursuit-on, « même si les gains réalisés au cours de la dernière décennie sont notables, il reste beaucoup à faire en matière de représentativité des femmes sur les conseils d’administration ainsi qu’au niveau de la haute direction des entreprises ».

Certes.

Chez KPMG, l’analyse effectuée dans le « Rapport annuel sur le rendement en matière de diversité des genres et de leadership », dont la toute première édition est parue mardi, est plus pointue : on constate, après avoir sondé 48 des plus grandes organisations canadiennes, qu’il n’y a qu’un nombre microscopique de femmes noires ou autochtones parmi la relève des postes de haute direction.

Là encore, on ne peut pas dire qu’on tombe en bas de notre chaise.

Le manque de diversité au sein de la relève fait depuis toujours partie du vaste problème de la diversité au sein des directions d’entreprises.

Mais au moins, on creuse un peu le problème.

Car le manque de diversité au sein de la relève est un des éléments du cercle vicieux qui empêche la différence d’entrer par la grande porte au sommet des organismes.

Vous avez sûrement entendu ce refrain souvent : des entreprises qui disent qu’elles veulent changer, mais nous obligent à constater que leur bassin de recrutement ne leur permet pas de diversifier leurs équipes autant qu’elles le voudraient. Le tout, sans pour autant s’engager à déconstruire les mécanismes – souvent invisibles, inconscients – qui font qu’elles finissent toujours par donner des promotions au même genre de candidats tout le long du chemin vers le sommet.

Donc KPMG sonne l’alarme au sujet d’un problème à la source de l’autre.

* * *

Mais que faire avec tous ces constats ?

Dans les deux cas, les chercheurs insistent sur le fait que la diffusion de telles données est en soi un début d’action pour le changement. Et qu’il faut poursuivre le travail pour savoir qui et où sont les femmes dans les organisations. Et comment elles s’identifient.

Du côté de KPMG, on insiste sur la nécessité de récolter cette information pointue. « Ne pas recueillir de données sur la race, le genre et l’ethnicité tout en essayant de stopper les préjugés et le racisme systémique s’apparente à vouloir vaincre la COVID-19 sans procéder au dépistage et à la recherche de contacts. Si nous ne cherchons pas à savoir, ne demandons pas ou ne mesurons pas, nous ne le saurons pas. Ne pas savoir, c’est ce que veulent ceux qui sont à la tête d’un système raciste », affirme Pamela Jeffery, fondatrice du Projet Prospérité, un organisme sans but lucratif créé au début de la pandémie pour veiller à ce que les Canadiennes ne soient pas oubliées au moment de la reprise après la COVID-19 et qui a collaboré avec KPMG pour la recherche.

Du côté de l’IGOPP, on soulève aussi les défis que pose l’identification de membres issus de diverses minorités et on insiste sur l’importance, en soi, de la diffusion des statistiques.

« Publier des rapports fait partie des moyens » pour faire changer les choses, explique François Dauphin, président et directeur de l’Institut, en entrevue.

Que l’IGOPP fasse de ces questions un de ses rapports annuels est en soi une marque de l’importance accordée aux enjeux, ajoute le directeur.

« Ça résonne dans les bonnes oreilles. »

Dans le document, l’IGOPP note aussi que si on se fie aux taux de diplomation des femmes et des membres de la population issus des minorités, le bassin de recrutement pour les postes de leadership devrait naturellement se diversifier.

Est-ce que l’IGOPP nous dit donc tout simplement d’attendre ? ai-je demandé à M. Dauphin.

Non, m’a-t-il répondu.

M. Dauphin admet que la réalité n’évolue pas ainsi. Du moins, ce n’est pas ce qui a été observé depuis une vingtaine d’années.

Et c’est effectivement évident : ce n’est pas parce que les femmes obtiennent majoritairement leurs diplômes dans certaines facultés qu’elles prennent le contrôle du secteur ensuite. Pensez au domaine du droit !

On ne peut pas juste attendre.

Les structures, les mécanismes qui entourent l’accès au pouvoir dans notre société ont une capacité de faire dévier le chemin qu’on aimerait voir tracé exclusivement par le mérite.

Il faut donc les redresser.

Et c’est de ça, maintenant, qu’il faut réellement commencer à parler.