Avec la conclusion de la vente, vendredi dernier, de sa division Transport au groupe français Alstom, Bombardier vient de clore un long et pénible processus de rationalisation qui l’a forcée à se défaire au fil des ans de toutes ses activités dans le domaine récréatif, puis dans celui de l’aviation commerciale et, enfin, du matériel roulant de transport pour se replier sur ses seules activités de constructeur de jets d’affaires. Retour sur une longue et pénible descente aux enfers dont les origines remontent au début des années 2000.

Il a beaucoup été question la semaine dernière de l’arrivée en scène du groupe français Alstom aux commandes de Bombardier Transport, à l’issue d’une transaction annoncée il y a bientôt un an. Le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, s’est prêté à une belle opération de relations publiques pour rassurer ses nouveaux employés et partenaires, notamment la Caisse de dépôt et placement, quant à l’avenir des activités québécoises du groupe.

On s’est par ailleurs beaucoup moins attardé sur le fait que cette transaction marquait aussi la fin de près de 50 années d’activités de Bombardier dans le secteur du matériel roulant qui lui ont déjà permis d’occuper le premier rang mondial des constructeurs de trains.

Il faut se rappeler que c’est par nécessité, conjuguée à une bonne dose d’opportunisme, que Bombardier s’est lancée en 1973 dans la construction de wagons de métro en vue de la tenue des Jeux olympiques de 1976 et du prolongement du réseau de transport souterrain de Montréal.

L’entreprise, qui construisait des motoneiges à Valcourt, venait d’être foudroyée par la crise du pétrole et l’effondrement de son marché alors que ses ventes de 210 000 véhicules en 1970 étaient tombées à 70 000 en 1973.

Laurent Beaudoin, PDG de Bombardier, a soumissionné et remporté le contrat de construction de wagons de Montréal qui allaient être assemblés à l’usine de La Pocatière. Puis Bombardier obtient le contrat du métro de Chicago, celui de Mexico et enfin de New York. La division Transport était sur les rails.

Tout au long de sa carrière, Laurent Beaudoin, considéré comme un modèle par ses pairs PDG québécois, selon une étude réalisée il y a une dizaine d’années par le Cercle des présidents, a toujours su jouer d’audace. Durant sa carrière d’entrepreneur, il a réalisé plus d’une centaine de ventes et d’acquisitions d’entreprises.

C’est la raison pour laquelle il décide en 1986 de racheter de la quasi-faillite l’avionneur Canadair qui terminait le développement du nouvel avion d’affaires Challenger. La société de la Couronne traînait une dette de 1 milliard qui a été effacée par le gouvernement fédéral lors de sa privatisation.

Bombardier a mis la main sur le Challenger mais a eu surtout le génie de transformer l’appareil en l’allongeant pour lui permettre d’accueillir 50 passagers et ainsi créer le CRJ, le premier jet régional, une toute nouvelle catégorie d’appareils dans le transport aérien où l’entreprise deviendra le leader mondial.

Le choc des années 2000

C’est à partir du début des années 2000 que Bombardier amorce sa descente aux enfers lorsque le secteur de l’aviation commerciale est durement éprouvé par les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

C’est aussi en 2001 que Bombardier réalise l’acquisition au prix de 750 millions d’Adtranz, la multinationale allemande, deuxième fabricant mondial de matériel roulant de transport, ce qui permet à l’entreprise montréalaise de devenir le numéro un mondial du matériel ferroviaire.

Le développement de nouveaux appareils de 70 et 90 passagers et l’augmentation des capacités de production ont fait exploser la dette de Bombardier alors que le marché des jets régionaux s’effondrait.

En 2003, un nouveau PDG, Paul Tellier, celui qui a redressé le CN, est appelé à la rescousse. En deux ans, celui-ci fera le ménage en procédant à plusieurs mises à pied et en orchestrant la vente de la division des Produits récréatifs, l’activité d’origine de Bombardier.

Mais déjà, Bombardier voit que le marché des jets régionaux est arrivé à la fin de son cycle. Depuis le début des années 2000, l’entreprise planche sur un appareil commercial de 110 à 130 places avec un plus long rayon d’action.

Paul Tellier s’opposait au lancement d’un tel appareil. Il voulait solidifier le bilan de l’entreprise avant de se lancer dans un nouveau programme de développement coûteux.

Laurent Beaudoin, lui, veut foncer et nomme son fils Pierre comme nouveau PDG du groupe qui entreprend des négociations pour le partage des coûts qui dureront quatre ans avec les fournisseurs de l’entreprise et les gouvernements avant de procéder au lancement du projet, estimé au départ à 3 milliards US en 2008.

On connaît la suite. Comme dans tous les programmes de nouveaux appareils, Bombardier doit composer avec des coûts qui ne cessent d’exploser. Pis encore, l’entreprise s’est engagée dans le développement de deux autres appareils : le Learjet 85 et le Global 7500.

Contrairement à Airbus qui a connu les mêmes problèmes de dépassement de coûts avec le développement des A350 et A380 ou Boeing avec ceux du Dreamliner ou du 777, Bombardier ne génère pas les liquidités nécessaires pour absorber la hausse des coûts du programme et n’arrive pas à trouver le nombre minimal de clients pour pérenniser financièrement l’aventure de la C Series.

En 2015, Pierre Beaudoin cède sa place à Alain Bellemare, un nouveau PDG qui, espère-t-on, réalisera le redressement miracle tant espéré. Là encore, on connaît la suite et le dénouement. Pour faire face à sa dette de plus de 9 milliards US et au remboursement des échéances les plus pressantes, Bombardier a été obligée de procéder au démembrement de ses divisions d’avions commerciaux et de ses activités de transport sur rail, et Alain Bellemare a été remplacé par Éric Martel, ex-PDG d’Hydro-Québec.

Bombardier amorce depuis cette semaine sa nouvelle existence, sans Bombardier Transport, sans participations dans le A220, exclusivement concentrée sur ses activités de construction de jets d’affaires. Une fois qu’elle aura encaissé les 3,6 milliards de la vente de Bombardier Transport, l’entreprise de Saint-Laurent prévoit se retrouver avec une dette de 4,7 milliards en tenant compte de ses liquidités.

L’entreprise compte maintenant 16 000 employés dans sa douzaine d’usines au Canada, aux États-Unis et au Mexique, dont quelque 9000 à Montréal. La descente aux enfers a été longue et pénible ; on souhaite qu’elle soit devenue un évènement du passé.