La récession actuelle est inédite. Au Québec seulement, c’est plus de 820 500 emplois qui ont été perdus entre février et avril 2020, au cœur du pire ralentissement économique depuis la Grande Dépression. Et malgré un rebond marqué depuis, la relance s’annonce des plus inégales.

Avec les milliards injectés dans l’économie canadienne, combinés à la capacité (ou à l’incapacité) des travailleurs d’exercer leur emploi à domicile, un fossé s’est créé entre les Québécois. Et ce fossé est en train de façonner l’économie de l’après, avec de grands gagnants et de grands perdants (ce que j’appelle ici la Grande Division).

Plus que jamais, l’économie se divise en deux classes. Il y a ceux qui peuvent travailler à la maison et ceux qui ne peuvent pas.

Dans l’ensemble, ce sont environ 4 travailleurs canadiens sur 10 (39 %) qui, selon Statistique Canada, occupent un emploi qui peut être exercé à domicile. C’est donc 60 % de la société qui est à risque de perdre son emploi en raison du ralentissement de son industrie.

La capacité de télétravail varie grandement d’une industrie à l’autre. Par exemple, les travailleurs des secteurs de la finance et des assurances (85 %) et des services professionnels (84 %) peuvent majoritairement exercer leur emploi dans le confort de leur maison, comparativement à ceux du commerce de détail (18 %) et de l’hébergement et de la restauration (6 %).

La capacité de télétravail a aussi une corrélation importante avec le niveau de scolarité des travailleurs.

Plus de 60 % des Québécois qui possèdent un baccalauréat ou un diplôme supérieur ont le luxe de travailler à la maison, comparativement à seulement 25 % pour ceux qui possèdent un diplôme d’études secondaires.

Deux réalités

Malgré une récession sans précédent, le marché boursier est en pleine ascension, tout comme le marché immobilier, qui profite de taux d’intérêt exceptionnellement bas. Et pourtant, au même moment, l’affluence aux banques alimentaires ne cesse d’augmenter, et ce, malgré une augmentation de 11 % du revenu discrétionnaire moyen au troisième trimestre 2020.

La Grande Division se manifeste également au sein d’une même famille et met en péril des décennies de progrès en matière d’égalité des sexes.

Selon la Banque Royale du Canada, la participation des femmes au marché du travail a atteint son plus bas niveau en trois décennies, alors que les industries qui emploient majoritairement des femmes sont plus lourdement touchées par la crise (services éducatifs, restauration, hébergement, vente au détail, etc.) et qu’elles héritent souvent du fardeau de gérer l’école à la maison.

Ces réalités parallèles enflamment la colère dans les rues et sur les réseaux sociaux. On la voit présentement à son paroxysme aux États-Unis, un pays hautement divisé, mais le Québec n’est pas immunisé face à cette déchirure du tissu social.

La popularité grandissante des théories complotistes, quoique marginale, montre le fossé économique et idéologique qui s’installe entre les deux solitudes créées par la pandémie.

Au-delà des risques pour l’économie et la santé, le plus grand danger qui nous guette est que la pandémie nous divise à jamais. Au sortir du confinement, il nous faudra rebâtir un Québec plus égal, plus durable et plus uni.